Kini et Adams

D'Idrissa Ouedraogo

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Kini et Adams sont deux paysans qui tentent de survivre et ne rêvent que d’un ailleurs : la ville. Ils investissent leur temps et leurs faibles moyens dans la réparation d’un vieux tacot qui pourra les emmener et leur permettre d’y gagner de l’argent. Mais entre les deux hommes, jalousie, ambition et rivalité vont dresser un mur que leur amitié ne pourra peut-être plus franchir.
C’est ce mur qui intéresse Idrissa Ouedraogo, ce mur qui se bâtit à l’intérieur de chacun dans une société déchirée entre ce qu’elle devient et ce qu’elle a été. C’est ce cri du cœur (titre du dernier film d’Idrissa) qui n’est plus une opposition entre tradition et modernité mais l’émergence d’un nouvel individu qui ressent de façon dramatique tant la fascination qu’exerce sur lui la réussite technique occidentale (et le bien-être consommatoire correspondant) que la vacuité et l’anormalité des valeurs qu’impliquent ce modèle entièrement soumis aux logiques du pouvoir, du profit et de l’exclusion des plus faibles. C’est de cette scission que parle le film, de ce dédoublement de la société, de cette déchirure en chaque individu, qui conduira à la fin d’une amitié et au dénouement tragique d’un homme qui ne peut assumer l’appauvrissement qui lui est proposé. On est loin du héros de western libre de ses actes, délesté des pesanteurs de la coutume et affranchi des contrôles de l’Etat, pleinement disponible pour un destin qu’il a le pouvoir, s’il le veut bien, de définir et d’amplifier. Le cinéma a justement abreuvé l’Africain de ce type de héros, à la fois fascinants et perturbants, choquant tout ce qui perdure en lui d’éthique et d’esthétique traditionnelles. Si Kini et Adams, dans leur ambition sociale, cherchent chacun à leur manière à s’affirmer individuellement, c’est bien dans un refus de l’individualisme qu’ils expriment finalement leur quête d’individualité et c’est ce qui m’intéresse dans les cinémas d’Afrique aujourd’hui : comment ils tissent, non sans hésitations et douleurs mais différemment du modèle occidental, la toile de cette  » révolte du moi  » évoquée par des critiques arabes tels que Khémais Khayati.
Idrissa Ouedraogo ne mise pas sur la pure description de la réalité : son cinéma est avant tout fictionnel. Il ne mise pourtant plus vraiment sur la représentation : il ne cherche plus comme dans ses premiers films à faire prendre conscience son spectateur par une vision du monde, par l’affirmation d’un regard. Ce qui l’intéresse est d’explorer l’humain en crise pour pouvoir mieux affirmer de façon presque obsessionnelle une idée : l’humain tout court. C’est ce qui rend son cinéma si théâtral (cette théâtralité qui finit par gêner) : chaque fois que deux personnages (j’allais dire deux caractères) vivent un conflit, il se dépêche de mettre en scène leur réconciliation. Kini et Adams est l’histoire d’une perpétuelle retrouvaille. Même dans l’extrême, dans la mort, les deux amis se retrouvent en une même image récurrente (les deux amis sur fond de soleil couchant) dont le kitsch reflète la fétichisation du thème : leurs oppositions n’étaient que du spectacle, une comédie humaine, et donc en fait sans cesse dépassées car leur lien est plus fort. Comme si Idrissa ne voulait pas aller au fond de son introspection, par peur d’atteindre ce qui nierait l’idée qu’il se fait de la fraternité humaine, la reconnaissance en somme que le mal existe en l’homme tout aussi naturellement que le bien. C’est dommage, car c’est justement cette introspection qui fait la valeur de son cinéma et son actualité. Et car ce film à la fois drôle et tragique, rythmé, tonique, touchant et en définitive très réussi risque pour cette raison d’être perçu une fois de plus (et bien à tort) comme un étalage de bons sentiments.

///Article N° : 188

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