« Le message passe mieux lorsque la qualité du spectacle est supérieure »

Entretien d'Olivier Barlet avec Claude Gnakouri et Luis Marquès

Abidjan, 2001
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Ymako Teatri (Côte d’Ivoire),
 » Les Paléos »,
adapté du roman d’Ahmadou Kourouma « En attendant les bêtes sauvages ».
Mise en scène de Patrice Collet

Voilà un spectacle d’un nouveau style. Pourquoi ce changement ?
Luis Marquès – A l’occasion du dernier Masa, nous avons rencontré des gens du théâtre de l’Utopie, en particulier Patrick Collet, qui cherchait à faire un spectacle avec trois pays africains de spectacle de rue. Nous avons trouvé intéressant de travailler avec un metteur en scène extérieur. La demande partait d’un texte contemporain et nous avons choisi le roman de Kourouma qui nous avait vraiment marqué. D’autant que nous tenions à travailler dans le cadre d’un mouvement mondial qui se développe maintenant et qui se nomme »théâtre et spectacle vivant de culture de la paix ». Ce mouvement se manifeste par la volonté de chacun des artistes de donner un sens à leur pratique théâtrale en créant des spectacles qui portent sur cette thématique de la paix. Plusieurs rencontres ont été faites. Notamment en Amérique Centrale avec des pays qui sortent tous d’une trentaine d’années de guerre. Des colloques ont lieu, des spectacles ont été créés comme un spectacle au Burkina « La vie est belle » suite à une conférence donnée à Limoges ou encore celui sur le Rwanda d’Ignace Alomo présenté ici. Des festivals aussi s’impliquent comme le Festival des arts de la rue en Côte d’Ivoire, qui portera sur la thématique d’une recherche d’une culture de paix du 2 au 6 août à Grand-Bassam et devrait regrouper des spectacles d’Afrique centrale, du Rwanda.
C’est dans ce contexte que le spectacle a été créé au FAR 99 et qu’il continue de voyager. C’est une « dictature militaire mode d’emploi » et pour nous il s’agit vraiment d’une sensibilisation. Nous avons créé le spectacle avant le coup d’Etat militaire en Côte d’Ivoire et nous avons pu observer que toutes les étapes de cette fameuse transition, qui n’était rien d’autre qu’une dictature de plus, sont rigoureusement identiques à ce qu’on décrit dans le spectacle. On a vécu tout ça comme si Guey avait suivi le manuel !
Comment avez-vous opéré le travail scénique ? Le public reconnaît directement les personnages sous leur identification métaphorique.
Claude Gnakouri – Kourouma avait mis tout ça dans son livre. Il fallait ensuite faire un travail de réadaptation. Et puis, c’est notre histoire. Lors de la tournée africaine, chaque pays reconnaissait son dictateur ! Nous les acteurs, on a nourri le spectacle à partir de toutes nos expériences. Nous n’avons pas pu jouer au Togo, ce à quoi nous nous attendions d’ailleurs. Le spectacle avait été annoncé et effectivement, deux jours avant la tournée, il a été annulé en raison de « problèmes techniques ». Mais le problème était politique… Ce qui a été amusant c’est que le public togolais a suivi le spectacle à Cotonou pour pouvoir le voir là-bas. Nous étions assez fiers de voir que le théâtre peut faire peur à ces gens, ce qui montre que nous avons là une force. Ainsi, la censure au Togo a donné plus d’influence au spectacle et a amené plus de monde !
N’y aurait-il pas un moyen de le diffuser en télévision ?
Luis Marquès – L’énergie qui se dégage sur scène est tout à fait différente de celle que l’on recevrait par la télévision. Un spectacle vivant comme celui-ci a cette force face à un public qui se retrouve rassemblé en communauté. A Conakry la pièce a connu des réactions extraordinaires qui étaient vraiment de l’ordre de la révolte. C’était pour le public l’occasion d’un cri, d’extérioriser une frustration chaque fois qu’il se reconnaissait dans le spectacle. C’était la seule occasion d’exprimer leur colère, le spectacle permettait cette catharsis. Cela serait dommage de passer par le dire de la télé pour ce type de spectacle. Il vaut mieux le vivre.
Que permet la bouffonnerie de la narration ?
Luis Marquès – Ce qui nous amuse et nous intéresse, c’est de changer radicalement de forme théâtrale à chaque fois que cela est possible, ne surtout pas avoir un style particulier. Nos précédents spectacles n’ont jamais rien à voir les uns avec les autres. Pour celui-ci, nous avons effectivement fait un travail sur le clown, sur le burlesque. Grossir les traits permet de dire des vérités terribles et qu’elles passent. Le rire est une arme. C’était également une volonté de la mise en scène de Collet. Nous n’avions jamais fait de burlesque, nous ne sommes pas des comédiens comiques à priori mais petit à petit on a trouvé les clefs.
Claude Gnakouri – La plupart de nos spectacles ont un lien qui est celui de l’oralité. C’est une technique de narration que l’on adapte pour chaque spectacle.
Luis Marquès – Nous avons la volonté définitive et ferme de pouvoir jouer quelque soient les conditions, sans nécessité technique, avec seulement des instruments acoustiques. Cela nous permet de jouer dans la rue, n’importe où. C’est une question stratégique pour la diffusion du spectacle en Afrique. Nous avons créé ce spectacle d’abord pour le public africain. A l’extérieur il permet de faire découvrir une réalité africaine mais cela reste lointain, de l’ordre de l’anecdote. Ici, cela touche directement les gens.
Claude Gnakouri – Cela touche aussi les Français : quand on cite le général de Gaule, la colonisation, chacun en prend pour son compte. L’équipe algérienne aussi a été enthousiasmée, ils s’y sont reconnus totalement. Le spectacle peut partout avoir un impact.
Comment s’est passé le travail autour des accessoires, est-ce un travail collectif ?
Claude Gnakouri – Le metteur en scène s’est basé sur le jeu que nous avons. L’idée du décor était aussi d’utiliser du pvc de récupération pour que cela ne coûte pas cher, que cela soit léger pour pouvoir circuler facilement avec.
Vous êtres nombreux dans la troupe ?
Luis Marquès – On est douze sur scène, treize en tournée avec le régisseur. C’est un spectacle relativement lourd mais la mise en scène le justifie pleinement. C’était le choix de Patrick Collet. Nous ne le regrettons pas : chacun a sa place, apporte au spectacle et nous ne pourrions pas réduire l’équipe. Collet a d’abord fait l’adaptation, ce qui était la base indispensable à la création. Ensuite, dans son travail de mise en scène, il nous a laissé beaucoup de liberté. Il souhaitait que nous apportions nos idées.
On sent bien dans ce spectacle cet esprit collectif d’un groupe.
Luis Marquès – Cela correspond à l’esprit dans lequel la troupe travaille. On a toujours fait en sorte de s’amuser dans notre travail. Les conditions de travail étant un peu difficiles, il vaut mieux que l’on s’entende bien et qu’humainement le courant passe car on est amené à passer beaucoup de temps ensemble dans les répétitions, les tournées.
Claude Gnakouri – Notre objectif aussi est de faire du théâtre notre métier. On travaille beaucoup ensemble depuis longtemps, on se connaît bien, c’est ce qui fait que le courant passe.
Luis Marquès – Pour autant, nous ne vivons pas en communauté. Nous avons fait le choix rigoureusement opposé de celui de nos prédécesseurs. Vu qu’il n’y avait pas de lieux de représentations, ils ont tout misé sur des structures à construire ; c’est par exemple le cas du village Ki-Yi. Nous avons préféré tout miser sur la personne, lui laisser l’entière disponibilité pour son travail de manière à augmenter la qualité artistique des productions. Nous avons acquis avec les années et l’expérience la forte conviction que le message passe avec plus de force lorsque la qualité du spectacle est supérieure.
Au niveau des projets ?
Luis Marquès – Au niveau de l’association Théâtre et Culture de la paix en Afrique, nous préparons une caravane du spectacle vivant pour une culture de la paix en Afrique de l’Ouest avec quatre structures au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Niger. Cette caravane consistera à faire venir cinq gros spectacles de haut niveau sur cette thématique, plus tous les spectacles créés au niveau national. Elle circulera à raison de dix étapes par pays durant deux mois de gros villages en petites villes, afin de toucher tout le monde, et en étant accompagnée d’une étape à l’autre par les scolaires et les associations de la ville précédente. On essaie de monter le projet pour janvier 2002, plusieurs spectacles se créent en ce moment pour cet événement. C’est aussi l’occasion de développer un autre réseau de diffusion que celui des CCF, qui est quasiment le seul existant, et de montrer qu’un circuit de diffusion dans la rue est tout aussi fonctionnel.
Egalement, Ymako approfondit son travail de l’oralité. Nous allons travailler sur l’aspect profane du mythe de Mousso Koroni, un des mythes fondateurs du Komo, de la genèse. Le Komo est une société d’initiation, extrêmement forte et puissante ; et bien que nous ne soyons pas des initiés nous y travaillons sur les conseils de Youssouf Tata Cissé. Ce mythe traite de l’esprit destructeur inhérent à l’univers et à l’homme, ce qui nous permet d’amener une sensibilisation sur cette violence qui est en nous et dont le mythe donne le parcours intérieur. Ce mythe n’a jamais été retranscrit dans sa totalité : l’intérêt est d’aller le chercher à sa source dans les différents villages où est passé Mousso Koroni. Partir de la source, faire un écrit puis une adaptation théâtrale à notre manière, comme nous l’avons fait pour le Kaïdara.
On est toujours dans cette problématique de la violence et de la réconciliation.
Luis Marquès – Nous vivons dans des sociétés chaotiques, de violence, de pauvreté, de frustration. L’ensemble des productions est fortement imprégné des réalités dans lesquelles on vit, le théâtre est de plus en plus un acte politique dans le sens noble du terme. Nous sommes pris dans un contexte d’urgence, dans lequel on ne peut pas ne pas réagir. Du fait que nous jouons dans la rue, il est nous est nécessaire aussi de traiter de thèmes qui concernent le public auquel on s’adresse.
Vous avez fait venir les Matitis, ils jouent dans le off dans des conditions minimales. Comment réussissez-vous à manager ça ?
Claude Gnakouri – Nous avions déjà travaillé ensemble et nous voulions que leur spectacle soit vu ici. Ils se sont débrouillés pour le transport ; nous, nous couvrons leurs frais quotidiens avec nos cachets. On s’entraide comme des troupes sœurs en mettant la solidarité entre nous.

Lire également l’entretien avec Claude Gnakouri et Luis Marquès sur le Festival des Arts de la rue de Grand-Bassam dans Africultures 11, ainsi que l’entretien avec Patrick Collet dans Africultures 36.///Article N° : 1958

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