« Donner vie à ceux qui n’ont pas eu cette chance »

Entretien d'Olivier Barlet avec Souleymane Badolo dit Solo, chorégraphe

Abidjan, 2001
Print Friendly, PDF & Email

Compagnie Kongo-Ba Teria
(Burkina Faso),
Frères sans stèles

Pourquoi avoir choisi la traite négrière comme sujet ?
Nous croyons que l’Afrique oublie son passé. La façon de gouverner en Afrique rappelle les temps de l’esclavage ! Nous avons voulu participer au 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage : il fallait donner une vie à ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre comme nous vivons actuellement, donner un tombeau à ceux qui n’en ont pas eu – pour leur mémoire.
La chorégraphie joue tout le temps sur la question de l’unité et de la séparation.
Ce que l’on vit, ce que l’on a vécu et ce qui est l’Afrique, c’est l’unité. On nous a obligé à nous séparer. C’est quelque chose qui nous touche beaucoup et que nous voulons dénoncer : cette séparation forcée ou cette déchirure imposée. Nous essayons de faire voir le vécu de la traite négrière. Nous partons de ce qui a été rapporté dans les livres, de ce qui a été dit, là-dessus nous improvisons. Nous gardons ce qui nous paraît bon. Le spectateur lui le verra peut-être encore d’une autre manière que ce que nous avons senti et proposé.
Les corps sont très souvent en flexion. Comment avez-vous travaillé ?
L’idée de cette création est venue de ma part. Le spectacle s’est créé en collaboration avec Sako Ousseiny et Coulibaly Lassina, qui sont tous deux chorégraphes. Il y a une grande complicité entre nous, nous vivons dans le même quartier et nous dansons toujours ensemble.
Quelles sont vos conditions de travail ?
Jean-Pierre Klein, le directeur du CCF de Ouaga, aide beaucoup les artistes ; il nous permet de travailler dans son lieu. C’est ce qui nous a permis de créer cette pièce ainsi que la nouvelle, Venum.
Financièrement, c’est très difficile. Nous travaillons avec d’autres compagnies, comme Salia ni Seydou, nous donnons des stages de danses en Afrique et en Europe, et nous aidons d’autres troupes à monter leur création. Nous travaillons toujours à trois.
Vous avez une expression très contemporaine. Quel est le fond culturel sur lequel vous travaillez ?
Nous partons toujours de la base traditionnelle que nous avons de notre formation de base. Nous avons eu beaucoup de formations, de stages, ce qui nous a permis de développer notre propre langage qui n’est ni typiquement traditionnel, ni typiquement occidental. Nous essayons d’avoir notre propre style qui nous identifie. Beaucoup de jeunes compagnies reprennent notre style. Il faut trouver sa façon de s’exprimer.
Comment émerge un pas de danse ?
Il est quelquefois très difficile de coller un mot à un pas de danse. Nous arrivons quand même dans ce spectacle à rendre une situation donnée (le travail, être fouetté). On sent bien la soumission à quelque chose de plus fort. Nous n’arrivons pas à tout dire avec le mouvement. Certains sont juste pour la beauté du mouvement mais ne peuvent contenir tout ce que nous voulons dire.
La musique repose sur des tambours d’eau, sur un arc musical… Comment s’est fait le travail avec les musiciens ?
Nous avons utilisé ces instruments en rapport avec la tradition burkinabée. Le tambour d’eau se joue lors d’un décès. L’arc musical est utilisé dans les moments de joie, la fin des récoltes, les cérémonies de mariages ou de luttes. Mais le musicien ne joue pas forcément des musiques traditionnelles, il crée à partir des mouvements que nous faisons et par rapport au thème de l’improvisation. La création garde une grande place.
Que signifie Kongo-ba Tiera ?
En langue bambara, cela signifie « la grande forêt de l’amitié ». On dit que dans les forêts se trouvent des génies, bons pour certains, mauvais pour d’autres. Nous avons opté pour l’apport positif des forêts : les forêts donnent la vie, la nature est très forte.
Le crâne prend une grande importance dans votre chorégraphie.
La tête est tout pour une personne. C’est cela qui guide, qui permet de réfléchir, de voir. Et quand un malheur survient, c’est la tête que l’on attrape en premier.
Doit-on voir une signification dans les trois couleurs des pantalons des danseurs ?
La couleur jaune est celle de la terre mère Afrique ; la couleur bleue est celle de la mer – qui rappelle le voyage des esclaves ; la couleur noire est la couleur terrible qui réfère à la manière dont nous avons été traités.
Vous n’êtes que des hommes dans la troupe.
Il n’y a pas de femmes. C’est plus facile de travailler entre hommes, de se dire les choses. Cela complique de mélanger les deux ! Néanmoins, nous voudrions travailler avec des femmes pour les prochaines créations.
Quelle est le thème de la prochaine chorégraphie ?
Elle est déjà créée et s’appelle Venum, ce qui signifie en mooré la vérité, la clarté en toute chose. Cela traite du malaise des individus, des complexes corporels et des situations africaines. Désormais, l’Afrique règle ses problèmes par la violence, ce qui n’était pas le cas avec les anciens qui se concertaient et discutaient. Nous y traitons donc de l’unité, c’est une dénonciation.

///Article N° : 1963

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire