Bureau National des Allogènes

De Satanislas Cotton

Mise en scène et scénographie : Christine Delmotte
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« Bureau national des Allogènes
Allogènes
Qui a dit la centrale des lampes
Mais non ce n’est pas la centrale des Lampes
Allogènes
D’une origines différente de celle de la population autochtone
Et installé tardivement dans le pays,
Toi tu es bien assis Maintenant
Pas l’allogène L’allogène est par définition mal assis
Il attend sa chaise Tu comprends. »

Sang versé et sens renversé
Après une création au théâtre des Martyrs à Bruxelles et une tournée en Belgique, Bureau national des Allogènes, une pièce de Stanislas Cotton montée par Christine Delmotte est venue clore le Festival Théâtres Compagnies VI au Centre Wallonie -Bruxelles.
L’enfer kafkaïen d’un bureau d’immigration où des étrangers viennent demander le droit d’asile. Les idées reçues, les désirs, les obsessions, les envies, les colères d’un petit fonctionnaire qui n’en peu plus d’interroger, juger, jauger, estimer… l’autre.
La situation est forte, l’enjeu généreux, l’image poétique de cette terre jaune en sac qui s’échappe comme le sable d’un sablier sur la tête de celui qui a quitté son pays, en quête d’une terre d’accueil : homme agenouillé, hanté par le fantôme de sa terre, écrasé par l’arrachement originel.
Deux acteurs en scène, l’un est blanc, l’autre noir, un Européen chemise blanche et pantalon noir ; un Africain, bardé de fétiches, cauris au cou et saoural blanc. Aucun dialogue, aucun échange, ils se sont pourtant rencontrés au bureau des Allogènes où le fonctionnaire a écouté la requête d’un immigré parmi d’autres, mais tous deux sont restés dans leur monde. Chacun vient à son tour raconter cette rencontre qu’ils n’ont bien sûr pas vécue de la même façon. Une mosaïque de visages au lointain découpée dans des magazines, une poursuite lumineuse manipulée à vue par l’acteur qui n’est pas en jeu. Mais la flaque d’hémoglobine rougeoyante qui occupe le plateau et dans laquelle se vautrent tour à tour les acteurs affaiblit le discours. La force première de l’image sanglante censée représenter le crâne éclaté de Rigobert Rigodon, le petit fonctionnaire qui s’est jeté du sixième étage, nous l’accommodons très vite en nous retranchant derrière l’artifice du théâtre.
Rigobert Rogodon incarne l’Européen torturé en dépit d’une situation familiale et sociale assise et sans commune mesure avec la réalité sanglante de Barthélémy Bongo qui, lui, a fui son pays en guerre et a tué un soldat. Rigobert Rigodon, c’est cette Europe qui va dans le mur, incapable de dépasser ses contradictions et son histoire, cependant le jeu inévitablement répétitif et geignard de Michelangelo Marchese qui, le visage ensanglanté, la chemise maculée de rouge se tient le ventre ou s’arrache les cheveux devient vite ennuyeux et inaudible. Les chants magnifiques de Ansou Diedhiou, comédien sénégalais du groupe des « Gueules tapées » de Dakar, et ses salutations à l’africaine qui n’en finissent pas créent une récréation : il vient serrer la main de chaque spectateur… mais on n’échappe pas aux clichés, et à une image de l’autre entièrement décalée dans un certain exotisme attendu.
De plus, le sang de l’Européen suicidé rejoint celui du soldat trucidé et ce mélange des sangs, cette « hémoglobine-transfert », disqualifie considérablement la portée du texte. Le sang versé purge le furoncle de la mauvaise conscience européenne, et il nous reste une image de l’Afrique à la fois insouciante et meurtrière. Les Européens se suicident sous la pression, les Africains s’entre-tuent, et c’est le même sang qui se fige…
Avoir construit tout le spectacle autour de cette flaque de sang détourne le sens de la pièce et anecdotise dans l’ici et maintenant du plateau une violence pourtant endémique et qui n’est pas dans le spectaculaire du sang qui souille les visages et les vêtements. Le sang du théâtre n’est pas celui du cinéma, le plateau rend les réalités artificielles, car elles sont signes avant d’être réalités, elles sont sens et discours. Dans la mise en scène de Christine Delmotte, l’hémoglobine devient un matériau comme un autre, mais un matériau de jeu qui ne sert qu’à la souille et à la coloration spectaculaire des visages et des chemises. On doit d’ailleurs rendre hommage au mérite des acteurs dont le travail est remarquable, mais leur performance « saignante » n’est-elle pas vaine ?
Christine Delmotte aime à l’évidence créer des images, mais les images aussi plastiques et réalistes soient-elles ne suffisent pas au théâtre qui a besoin d’épaisseur, cette épaisseur d’où naît la vérité et le mystère qui rend visible l’invisible, épaisseur métaphorique, comme cette terre qui pleure sur un crâne nu….


lumières : Nathalie Borlée
costumes : Catherine Ansay
conception des accessoires :
avec Ansou Diedhiou et Michelangelo Marchese
Compagnie Biloxi 48///Article N° : 1975

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Les images de l'article
Bureau national des Allogènes © Lou Hérion





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