Improviser l’intime

Entretien d'Olivier Barlet avec Zeka Laplaine

Cannes, mai 2001
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Dans (Paris : xy), son deuxième long métrage après Macadam Tribu, Zeka Laplaine aborde l’intimité d’un couple en utilisant l’improvisation et le tournage en petite caméra numérique.

Paris xy donne l’impression d’un film autobiographique. Pourquoi ce choix ?
C’est peut-être dû à la manière dont le film s’est construit. Je voulais raconter l’histoire d’une séparation de quelqu’un qui était absent, absent de la maison, absent du couple, absent avec lui-même. Quelqu’un qui ne se posait plus de questions et qui se lève un matin en réalisant que sa vie s’est arrêtée parce que sa femme est partie avec les enfants. J’ai abordé ce sujet en travaillant l’impro avec les comédiens : je ne voulais pas l’écrire. C’est peut-être ce qui peut donner ce ton très intime, cette impression d’autobiographie : l’improvisation fait que les comédiens vont chercher des choses proches d’eux.
J’ai travaillé avec des comédiens qui ont comme moi une méthode de travail venant de l’actor studio, qui consiste à trouver le personnage en partant d’un vécu, de la mémoire sensorielle, ce qui contribue à ce ton intimiste. Pour le personnage que je joue, j’ai cherché des choses qui me touchaient beaucoup, comme des amis que j’avais rencontrés qui avaient vécu des ruptures de ce type.
Au départ je voulais faire une comédie sur la rupture. Comme dans « Le Clandestin » qui traite de la clandestinité sur un mode burlesque, je voulais parler de quelque chose de grave mais sur fond de comédie ; à la fin je suis arrivé à un film qui n’est pas du tout une comédie, ce qui était impossible en travaillant de cette manière.
Le personnage principal est très intériorisé, assez paumé, il s’exprime assez peu sur lui-même.
Au fur et à mesure qu’on avançait dans le film et que l’histoire se construisait, je découvrais que je partais dans une direction qui n’était pas forcément celle que je voulais au départ. La difficulté était de rester cohérent, de tenir compte de ce qui précédait, non par rapport aux personnages mais par rapport aux situations qui s’éloignaient peu à peu de la comédie. A un moment, j’ai assumé cette nouvelle direction, plus intimiste que la comédie.
Kiarostami disait à sa conférence de presse : « on recommence toujours le même film ». Macadam Tribu était très intimiste aussi. Est-ce qu’il y a quelque chose qui s’impose ?
Je ne sais pas. Je pense que je peux faire des films très différents et la comédie m’attire beaucoup, même pour un sujet grave comme dans Le Clandestin. Je pense que plomber un film en le rendant hyper didactique ne fait pas mieux passer le message ! Je crois beaucoup à la légèreté pour dire quelque chose de profond.
L’improvisation et l’intimisme, cela veut dire prendre des risques. Tu joues le rôle principal, ce que l’on retrouve dans de nombreux films en ce moment. Etait-ce volontaire au départ ou bien le manque d’un acteur adapté ?
J’aurais pu prendre un autre acteur mais là j’ai tout simplement été égoïste et j’ai voulu me faire plaisir car je suis acteur au départ et je voulais jouer dans mon film, voilà ! C’est une histoire que j’ai construite autour d’un personnage qui était aussi un peu moi-même. Et puis c’était un film sans argent.
Ton personnage est assez borné, et ne va se débloquer qu’après des passages initiatiques avec des personnages extérieurs qui lui disent ses quatre vérités. Ce n’est pas vraiment un cadeau que tu te fais !
Je ne suis pas comme ça mais j’ai rencontré des gens qui s’enferment dans une rigidité effrayante. Plutôt que de vouloir assumer ce qu’il est et trouver le bonheur avec ce qu’il a construit, Max a l’impression que tout se passe ailleurs : il court après la richesse, délaisse sa famille, croit trouver avec une maîtresse un confort qu’il n’a pas chez lui, il croit que du fait qu’elle est noire que cela lui permet de résoudre son problème de proximité avec l’Afrique, etc. Il est dans le faux total. A un moment c’est trop ; soit il se suicide parce qu’il n’arrive pas à s’ouvrir, soit il arrive à s’ouvrir. C’est là que ça fait mal, mais c’est salutaire. Il a été tellement longtemps dans le faux que de revenir en arrière est douloureux. Donc il s’enferme, n’arrive pas à exprimer ses émotions, ne peut dire à sa femme qu’il l’aime. Il ne veut pas reconnaître que sa famille est ce qu’il a construit de plus important dans sa vie.
Le marabout incarné par Moussa Sene Absa amène une forte connotation africaine alors que pour l’ensemble des personnages, la couleur de leur peau n’intervient pas fondamentalement.
Max est noir, il a une femme blanche. Moi je traite cette histoire comme l’histoire d’un couple, basta ! Il y a des Blancs, des Noirs, des Arabes dans mon film. Ce sont des personnages. Cependant, le fait d’être blanc ou d’être noir va donner à chaque personnage, du fait de son origine, des spécificités qui vont faire que dans cette histoire de rupture les gens vont réagir différemment. Max, qui n’a aucun problème d’intégration, se rend compte qu’il est dans une culture où, en cas de séparation, la femme prend les enfants. Le marabout est là pour rappeler à Max ses erreurs. Il est un peu son démon et son ange, et fait de Max quelqu’un de plus entier, qui sait mieux qui il est. Dans un couple mixte, il faut que les deux cultures s’acceptent. Un Noir comme Max, qui vit en Europe avec une femme blanche, accepte souvent la culture dominante sans que la femme ne fasse la même démarche. Avec un tel déséquilibre, il n’est pas possible que le couple soit heureux.
Les enfants, très présents dans l’esprit des gens, sont très absents à l’image.
C’est une volonté aussi. Je voulais rester concentré sur l’histoire du couple. Mais le problème des enfants se pose d’autant plus dans le cas de cultures différentes.
Ton personnage s’affirme viril au départ, pour finalement la redéfinir. C’est quelque chose que l’on retrouve aussi dans de nombreux films actuels, notamment maghrébins.
Pour moi, c’est plus la remise en cause de la suprématie de l’homme par rapport aux femmes. En tant qu’Africain, je sens que je fais partie d’un monde qui subit la suprématie des pays riches à tous les niveaux. Je la combat et cela m’amène à ne pas accepter celle de l’homme sur la femme.
Ton film a été sélectionné par Acid à Cannes, un sélection parallèle. Cela t’ouvre-t-il des possibilités ?
C’est complètement parallèle. Il ne faut pas se leurrer, il y a des centaines de films, certains avec de gros moyens pour organiser des soirées, et que leur sélection rend très visibles. Mais ce n’est pas inutile. On trouve aux projections des distributeurs et des exploitants, et les salles étaient pleines.
Paris xy est tourné en numérique ?
Oui, et scopé en 35, alors que Macadam Tribu était tourné en super 16. Là aussi cela rejoint l’idée de faire des choses différentes. Cela a été une belle expérience de faire ce film en numérique. Tu racontes l’histoire différemment, tu as une grande mobilité, tu peux tourner avec une toute petite équipe. Du fait de sa petite taille, les comédiens ont un rapport à la caméra qui est différent. Cela fait un autre film.

///Article N° : 2066

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