Kabala

D'Assane Kouyaté

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On pouvait craindre le pire : cette histoire où le puit sacré du village est le principal personnage sentait le réchauffé, alignant des thèmes déjà largement traités dans les cinémas d’Afrique il y a bien longtemps. Et pourtant, ce film a son actualité. Derrière une problématique tradition/modernité qui pourrait paraître surannée, se profile un traitement qui l’ancre dans le temps présent. Le personnage d’Hamalla, qui a été rejeté du village parce que bâtard mais y revient quand il le sait menacé par une épidémie, témoigne par son positionnement d’une rupture avec les discours entendus : jouant le fou pour contourner le rejet, il agit subtilement pour mettre à jour les fixations identitaires et les replis sur soi. Son attitude est le fruit d’une pensée de l’état de l’Afrique aujourd’hui. Sa radicalité est dans sa détermination et non dans son discours. Il est à l’image du réalisateur : un intellectuel formé à Moscou qui prend distance avec les stigmatisations et les solutions toutes faites pour tenter de comprendre comment l’Afrique peut déjouer au quotidien les pièges du mimétisme dans le grand mouvement de la mondialisation et bâtir un développement adapté et durable. Ce village qui se prend finalement collectivement en main est à l’image d’une nouvelle Afrique qui retrousse ses manches pour trouver sa propre voie à la mesure de ses moyens. Le progrès ne viendra pas forcément des bulldozers mais des bras et de la sueur. Discours passéiste ? Il n’y a là aucun repli sur une culture figée : tous les personnages qui font avancer le récit sont partis du village pour y revenir enrichis par leur passage par un ailleurs. Mais ils ne renient pas leur culture pour autant, dans toutes ses dimensions humaines et spirituelles, et, conscients de sa fragilité face aux modèles extérieurs, tiennent à continuer à y puiser les valeurs porteuses d’énergie et d’espoir.
Nul doute que le public malien s’y reconnaîtra : Kabala est à l’image des villages rencontrés dès que l’on s’éloigne de quelques kilomètres de Bamako, les habitants en sont les acteurs, leurs costumes sont les leurs. C’est dans cette proximité et son appel à la responsabilité que ce film trouve sa nécessité. On peut être gêné par les maladresses, comme ces trois femmes porteuses de canaris d’eau qui traverseront par quatre fois le champ, ou par une image soignée mais très classique dans l’éclairage comme dans le cadre, mais il serait dommage de ne pas être sensible aux remises en cause sur les questions de développement que le film induit.

2002, 1 h 52, 35 mm, coprod. Mandala Prod/Farafina Dambé/CNPC Mali, avec Djénéba Koné (Sokona), Modibo Traoré (Hamalla), Fily Traoré (Sériba), Hamadoun Kassogué (Sibiri), Siaka Diarra (Namory), Sory Ibrahima Koita (Fakourou). Sélectionné à la Semaine de la Critique, Cannes 2002.///Article N° : 2352

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