Editorial

50 !

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« Il y a là
une douleur qui brûle
d’occident jusqu’en orient,
un sang qui crie
de la terre jusqu’au ciel ;
si je te le montrais
tes yeux en seraient aveuglés,
si je te le faisais entendre
tes oreilles en seraient assourdies. »
Koffi Kwahulé, P’tite-Souillure, Théâtrales, p.60.

Les noces d’or ! Le 50ème Africultures est là. Cinq années d’existence, 6112 pages publiées, plus de 2000 articles, près de 300 rédacteurs, une revue qui a gagné en densité, en illustrations, en qualité de présentation…
Et plus encore, une passionnante et enrichissante aventure. Pas en termes financiers bien sûr, mais là est notre défi : exister en dehors du soutien des pouvoirs car l’autonomie de l’information critique est à ce prix. Cela voulait dire bâtir sur du simple, du pas cher, mais cela n’aurait pu être viable sans la qualité des contenus. L’équipe de rédaction, issue de la dynamique de cette autre revue mensuelle qui, grâce à la ténacité de Fayçal Chehat, avait duré cinq ans, La Lettre des musiques et des arts africains, continue son engagement sans faillir, et fort du fidèle soutien du CNL et du FAS, mais aussi des éditions L’Harmattan, s’élargit sans cesse de nouvelles énergies et de nouvelles plumes.
Nous avons tablé dès le départ sur l’internet : notre site web, en extension permanente, fait désormais référence avec une impressionnante masse d’informations et des bases de données utiles à tous. C’est notre secret de longévité : faire vivre la dynamique Africultures en valorisant le savoir-faire ainsi développé. Certes, cela reste difficile mais nous nous consolidons chaque jour, grâce à nos nombreux partenaires.
Vous le savez déjà, un nouvel Africultures est en gestation, pour 2003 : la poursuite de l’information critique au quotidien sur internet et une revue plus réfléchie, plus approfondie, mieux à même d’éclairer la contribution des expressions culturelles africaines à la compréhension et au questionnement de notre monde.
Jusqu’à la fin 2002, nous continuons la formule actuelle, avec ce mois-ci un dossier sur les scènes contemporaines. Attention, le sujet n’est pas le « théâtre africain » pas plus qu’il n’est la « danse africaine ». Nous essayons au contraire de rendre compte de la diversité des démarches artistiques que ces termes trop globalisants recoupent. Cela nous amène à documenter régulièrement les créations en Afrique (notamment à l’occasion du Masa 1999 dans Africultures 18 « Nouvelles créations africaines » et du Masa 2001 dans Africultures 38 « Arts vivants d’Afrique » – sans compter les articles des cahiers critiques ou les compte-rendus de festivals). Mais aussi à présenter les recherches contemporaines, celles qui, au-delà des satires sociales et politiques souvent développées par les créateurs africains confrontés aux désillusions de la réalité de leur pays, tentent une vision moins géographiquement délimitée, à la fois personnelle et universelle où l’Afrique se pense au monde.
Ainsi dans ce titre, c’est le mot « contemporain » qui importe. Parce c’est justement ce qu’on dénie à l’Afrique. Cet enfermement permanent de l’Afrique dans ce qui est ancestral, mythique ou primitif refuse la contemporanéité d’œuvres artistiques pourtant parfaitement contemporaines, par leur thématique, leur positionnement et leur forme – et les « oublie » dans les programmations de nombreux festivals. Mais aussi parce que de nouvelles écritures dialoguent avec la création contemporaine européenne, ne s’adressant plus seulement à un public africain mais à tous ceux qui, conscients des violences contemporaines, cette « douleur qui brûle » qu’évoque Koffi Kwahulé, sentent bien que l’Afrique a quelque chose à dire au monde. Non pas un message identitaire figé mais son expérience de la modernité, celle d’une errance, d’un entre-deux culturel, d’un manque. Alors que les expressions post-coloniales s’employaient à combler le vide culturel et identitaire, ces écritures assument les vides laissés par l’Histoire comme une question posée à un monde en perte de repères dans le grand vent de l’uniformisation et du repli sur soi. Ce questionnement existentiel passe par une mise en crise des références établies. S’il nous parle tant à tous, par-delà toute frontière, c’est qu’il nous guide dans notre recherche d’un devenir.
Nombre de festivals s’accrochent encore à une vision passéiste de l’Afrique. Cette invisibilité est aussi celle de l’Outre-mer. C’est ce qui fait de l’initiative avignonnaise du TOMA une heureuse exception. Nous l’accompagnons depuis le début, animant des tables-rondes, rendant compte des spectacles présentés. Ce dossier est ainsi le témoin d’initiatives qui portent le monde noir sur les scènes contemporaines. Parce que nos oreilles ont terriblement besoin de s’assourdir.

///Article N° : 2380

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