entretien d’Olivier Barlet avec Jean-Pierre Bekolo (Cameroun)

à propos du Complot d'Aristote

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Pourquoi avoir choisi Aristote ?
Quand on m’a demandé de faire un film sur le cinéma africain pour le centenaire du cinéma, c’était déjà contradictoire. De plus, les autres réalisateurs étaient des grands, comme Scorcese, Bertolucci, Godard, Frears… et moi, je n’étais personne… Je me suis donc demandé ce qu’était le cinéma moderne : raconter des histoires ! Dans les stages de scénario, la première personne citée est Aristote :  » une bonne histoire doit susciter la crainte et la pitié « . J’ai donc relu La Poétique , base de tous les récits occidentaux. C’est là que se fait la différence avec l’Afrique. L’humour et la dérision s’avèrent une force culturelle intéressante pour le cinéma. La comédie affirme Dieu en soi-même, une capacité de résolution interne des problèmes, alors que la tragédie, comme la religion chrétienne, place Dieu à l’extérieur de l’individu. En Afrique, les gens ont Dieu en eux-mêmes. Mais lorsque Sembène Ousmane filme l’Afrique, il la situe dans la tragédie ! Cette génération a voulu faire ce qu’on lui avait appris. Bien sûr, on utilise un langage mais l’outil cinéma permet d’autres possibilités. C’est le sujet du film ; il ne donne pas de recettes, il ne dit pas comment il faut faire : il ne fait qu’en parler.
Tu adoptes le cinéma en pensant qu’une culture africaine a la potentialité de le réinventer…
Je crois à ce que je sens, sans doute parce que je suis Africain. Et je m’identifie à très peu de films africains ! Ce qui m’intéresserait, ce serait une certaine attitude face au monde. Je trouve grave de voir à Cannes des films africains qui fuient la réalité africaine actuelle ; ce sont des films aseptisés. On ne peut prétendre exprimer quoi que ce soit si l’on a pas pensé notre relation au monde moderne.
…qui passe forcément par une relation avec l’Occident.
Quand je regardais des films français ou américains au Cameroun, je ne comprenais pas tout. Pourquoi faudrait-il qu’on comprenne tout dans un film africain ? On attend de l’Afrique une excellence que l’on ne requiert pas pour soi-même ! Les vrais films africains arriveront quand il y aura des producteurs qui peuvent être en phase avec les projets. Nous sommes en permanence en train d’expliquer !
Dans le film, tu stéréotypes des personnages pour échapper au stéréotype…
Hitchcock disait qu’il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver. Je pense qu’il faut prendre ce qui existe pour le détruire. Chacun se fait son Afrique ! Un acteur noir n’a pas un rôle d’acteur mais un rôle de Noir, et nous sommes en 97 !
Comment s’est passée l’écriture du film ?
Il a été tourné en 95 au Zimbabwe. J’ai continué de l’écrire en permanence sur le casting, sur le tournage et même au montage.
Qu’est-ce qui te motive à déstructurer ainsi le récit ?
Une recherche sur le langage. La forme est un message en soi, elle parle d’elle-même.
Dans le film, tu te définis comme le  » fossoyeur du cinéma africain « …
En fait, ce n’est pas moi. J’ai tout gardé des improvisations, y compris ce que les acteurs ont dit de moi. Mais j’accepte le terme. Pour moi, ce cinéma est mort-né : il faut l’enterrer et arrêter la perfusion sinon la pourriture s’installe. Il n’est pas connecté aux gens. Une pourriture intoxique…
Tu rejoins les critiques occidentaux qui reprochent au cinéma africain un académisme…
C’est toujours la critique occidentale qui décide. Il faudrait que nous critiquions aussi… Le film, lui, ne critique pas les gens, il critique un état de fait. C’est le financement qui est problématique : les films qui se font sont sélectionnés par les Occidentaux. C’est pourquoi j’ai souvent tourné avant de chercher l’argent !
On débouche sur un constat pessimiste car les choses ne sont pas prêt de changer…
Il y a en Afrique des gens excellents, et dans le cinéma de très bon techniciens : j’ai tourné à Memphis avec un chef opérateur camerounais, Bonaventure Takoukam. Si on croit à la réincarnation, pourquoi Einstein ne se réincarnerait-il pas en Afrique ? Le savoir n’appartient à personne !
Critiquer l’aide au cinéma, n’est-ce pas un peu cracher dans la soupe ?
Je ne me considère pas comme un handicapé qui ne pourrait pas être compétitif et qu’il faut protéger ! En Amérique, beaucoup de cinéastes n’ont rien et c’est là qu’on mesure leur capacité à réinventer quelque chose. C’est avec les problèmes qu’on apprend. Sur quoi cette aide a-t-elle débouché ? C’est le moment de faire le bilan. Le cinéma africain est trop entouré. Tout ça empêche une véritable réflexion. Laissez le cinéma africain souffrir, vivre et même mourir. Sa survie comme celle de l’Afrique ne dépend de personne.

Paris, juin 1997///Article N° : 2477

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