Mille mois

De Faouzi Bensaïdi

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Voilà un film qui nous emmène avec lui : acceptons la ballade, elle vaut le coup. Elle n’est pas touristique. Les quelques paysages sont arides et durs, bien que terriblement beaux. Elle n’est pas explicative non plus : Mille mois propose plus qu’il ne dispose. Bensaïdi filme souvent à distance, laissant le spectateur libre de son ressenti. Et l’émotion est là, récurrente, parce qu’une compréhension subtile s’inscrit dans le cadre des images, qui restituent les contradictions de l’espace social dans le même plan comme ces jeunes filles qui se dorent au soleil allongées sur un toit tandis que les garçons jouent au ballon dans la rue en contrebas. Un objet – une chaise trimbalée par l’enfant Mehdi durant une bonne partie du film – symbolisera son rapport au monde : il l’amène tous les jours à l’instituteur (qui n’en a pas pour s’asseoir devant sa classe) et trouve ainsi sa place, lui qui est exilé dans ce village, sa mère et lui étant hébergés par le grand-père alors que le père, opposant au régime, est en prison. Mais la chaise est aussi sa façon de percevoir le monde : il monte dessus pour voir, merveilleuse image, la ville s’allumer d’un coup le soir… C’est lorsque cette chaise sera vendue par le vieux (à qui l’on a confisqué ses terres depuis que son fils est en prison et qui doit vendre peu à peu tous ses meubles pour survivre) que le fragile équilibre de la famille tronquée bascule.
Commencé magnifiquement avec l’attente par les villageois sur la montagne de l’apparition du croissant de lune qui annonce le début du Ramadan, le film connaîtra son apothéose durant la Nuit sacrée, celle où si l’on jeûne, c’est comme si l’on avait jeûné pendant mille mois. Bien sûr, tout ira mal cette nuit-là, et la chaise y joue encore un rôle central !
Dans la continuité de ses courts métrages, Faouzi Bensaïdi approfondit ici un langage cinématographique original servant son propos. Des plans-séquences fixes laissent les personnages aller et venir dans le champ et souvent s’exprimer dans le hors-champ : le spectateur est alors comme au théâtre, à suivre un déroulement vécu qui semble être à la fois le produit d’une écriture et quelque chose qui la dépasse, comme aléatoire. Une contradiction tonique s’installe entre la distance qu’implique ce dispositif très construit et l’implication que donne son impression d’incertitude. C’est à la fois la précision d’une partition musicale et l’émotion de la musique.
D’autres plans-séquences, en mouvement cette fois, suivent un personnage, établissant dans la durée une relation humaine. Les paysages arides sont filmés en plans larges où personnages ou voitures se déplacent dans le lointain, environnement en phase avec le récit et le devenir des hommes.
Le montage privilégie les digressions, optant pour un personnage puis le lâchant pour y revenir plus tard, construisant le film comme un puzzle polyphonique : le propos n’en est pas morcelé pour autant, cette mosaïque de destins mais aussi d’absurde, de burlesque et de drame convergeant en une seule et même partition. On ressort en effet du film avec la conscience sensible des traces laissées par les années de plomb et le souci d’œuvrer pour le futur de l’homme.

<small »>France, 2003, 124 min., un film de Faouzi Bensaidi avec Avec Nezha Rahil ,  Mohammed Majd ,  Fauad Labied. Scénario : Faouzi Bensaidi, Emmanuelle Sardou. Photo : Antoine Héberlé. Production : Gloria Films, Agora Films, Entre Chien et Loup
CANNES 2003 – Prix Un certain regard
Distribution : MK2 Diffusion///Article N° : 2912

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