entretien d’Olivier Barlet avec Rahmatou Keïta

Réalisatrice de Al'lèèssi

Cannes, mai 2003
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Comment en êtes-vous arrivée à la réalisation ?
Je suis journaliste et écrivaine, ainsi que reporter pour la télévision (France 2, Arte, la 5ème). J’ai présenté des émissions, été chroniqueur, j’ai fait des documentaires, et je commençais à me sentir un peu à l’étroit dans ce milieu étriqué très franco-français. Depuis, j’ai réalisé un 26 minutes, Le Nerf de la douleur, et travaille sur J’ai fait un rêve, un long métrage sur le retour de la démocratie au Niger. Ce qui me motive, ce sont des choses personnelles, qui me touchent. Le Nerf de la douleur traite du palu pour lequel on fait parfois aux enfants des piqûres sur le nerf sciatique, ce qui les laissent paralysés. En ce moment, J’écris un long métrage de fiction, une histoire d’amour.
Ce film en annonce d’autres !
Oui, Al’lèèssi, est le premier d’une série sur les pionniers du cinéma africain. Le prochain sera sur Djibril Diop Mambety, mais avec un traitement différent des deux films qui, à ma connaissance, ont été faits sur lui. Djibril me fascine alors que Zalika Souley m’a intriguée : une femme qui respecte tout, qui jeûne et fait ses cinq prières, tout en faisant tout ce que les gens n’aiment pas !
Quelle est l’importance de faire des films sur les pionniers du cinéma africain ?
Le Niger a été un des premiers pays à faire des films. Ces gens ont souvent disparu, les films sont superbes. Il est important de savoir d’où on sort pour pouvoir en partir et ne pas toujours recommencer à zéro ! C’est un travail de mémoire.
Où en est Zalika Souley aujourd’hui ?
Elle est amère mais elle reconnaît qu’elle a flambé son fric. On est responsable aussi de ce qui nous arrive. Les cinéastes racontent qu’il lui arrivait de planter les gens sur les tournages, ou d’exiger une augmentation en menaçant de ne pas finir le film. Mais il est vrai également que le Niger ne fait rien pour son cinéma. Il faut payer la télé pour que les films y passent !
Avez-vous pu monter votre documentaire avec la télévision nigérienne ?
Elle n’a même pas voulu d’une coproduction. Or, c’est essentiel pour avoir des partenaires en Europe. C’est finalement le Burkina Faso qui m’a tendu la main.
A-t-il fallu beaucoup de temps pour réunir tous ces éléments sur Zalika Souley et les pionniers du cinéma nigérien ?
J’ai mis six ans pour localiser et visionner toutes les archives… et Zalika, je l’ai suivie presque autant de temps avant qu’elle me sorte tout. Ce n’est pas une victime, elle a fait ses choix, s’est bien défendue et a cassé la gueule aux mecs qui l’ont insultée. On a dit du mal d’elle. Dans une culture sahélienne pleine de pudeur et de retenue, elle s’habillait comme les Blancs, les fréquentait, s’exposait à la ville comme à l’écran et était donc mal vue. Et elle a continué ! Elle n’a jamais été dans une école occidentale. Moi, malgré tous mes voyages et mes études en Occident, je ne traverserais jamais Niamey en jean car je ne veux pas qu’on m’insulte, ni qu’on me juge mal… Sa force m’a toujours intriguée, qui lui permet ainsi de braver la terre entière. C’est pourquoi j’ai fait le film. Peut-être qu’elle a un grain mais elle est comme ça !
Vous inscrivez votre film dans le cadre plus large du devenir du cinéma nigérien.
Je suis arrivée à comprendre ce qui s’est passé, à décortiquer la situation de notre cinéma. J’ai donc voulu placer le récit de sa carrière en perspective avec l’histoire du cinéma nigérien. Le film se passe sur une journée : dès le premier chant du coq, on voit son quotidien, et la nuit correspond à la mort de notre cinéma.

///Article N° : 2919

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