Chronique des jours de cendre

De Mia Couto (1)

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 » Ce qui est triste c’est de mourir de la mort d’un autre. C’est-à-dire : chacun possède sa propre mort, unique et exclusive comme la vie. C’est le moment ultime qui nous est destiné. Mais, parfois, par erreur, une autre mort croise notre chemin. C’est alors qu’il est triste de mourir. » (2)
Nous assistons dans un petit village du Mozambique aux onze jours qui ont précédé la Révolution des œillets et à l’agonie d’un système colonial moribond. Lourenço Castro, inspecteur de la Pide (3), a succédé à son père le tortionnaire et livre un combat sans merci aux guérilleros qui entendent gagner leur indépendance. Il vit avec sa mère et sa tante Irène que l’on tient pour folle. Habité par la haine, Lourenço Castro est un pauvre hère déserté par l’humain, il représente un régime infâme qui l’a lui-même asservi à la mort et qui lui a été transmis par son père. Obsédé par le sang dont il se voit sans cesse recouvert, il s’endort chaque jour avec son doudou et son petit cheval de bois. Sa mère Margarida, exilée d’elle-même, s’occupe religieusement de son fils et ne sort de la maison que pour se rendre à la messe : l’Afrique commence à sa porte. Irène qui est depuis longtemps passée de l’autre côté, déchaîne la haine de Lourenço Castro. La maison est en proie à un rituel immuable chargé de conserver intacte la mémoire et plus encore la présence du père bourreau…
Seule référence temporelle, ces onze jours qui ouvrent chaque chapitre soulignent à la fois la perpétuation du joug colonial inscrit dans un temps cyclique implacable et son effondrement radical survenu le 25 avril. Cauchemars, rêves et visions sont des éléments essentiels de la progression du récit et le font basculer dans un ordre symbolique prophétique annonciateur de chaos.
La langue de Mia Couto, incroyablement inventive, démultiplie les espaces narratifs et accroît d’autant le champ de lecture. Les nombreux néologismes permettent de dépasser le caractère arbitraire du mot et lui confèrent une infinité de sens. Par ce jeu, le lecteur devient ainsi le créateur d’une lecture singulière et libre. Il faut souligner ici les difficultés de la traduction car certaines créations passent difficilement en français et deviennent lourdes et opaques tandis qu’au contraire, son style est d’une grande poésie.
Écrite à l’initiative de la maison d’édition portugaise Caminho en vue de la commémoration du 25e anniversaire de la Révolution des œillets, Chronique des jours de cendre déroule le processus mortifère que contient en germe toute croyance idéologique et qu’il est primordial de débusquer sans cesse au risque de ne plus faire partie de la race des humains, car, comme l’écrit Mia Couto, chaque homme est une race (4).

1. Cf. Entretien avec Mia Couto in Africultures n°20. Bernard Magnier, Mia Couto ou la fable du chaos in Africultures n°26.
2. Chronique des jours de cendre p. 135.
3. Police politique de Salazar.
4. Titre d’un recueil de nouvelles de Mia Couto, quelques unes ont été traduites dans Les Baleines de Quissico. Albin Michel.
Traduit du portugais (Mozambique) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli
Albin Michel, 150 pages, 2003, 15 euros///Article N° : 3014

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