« L’art peut-être subversif tout en étant ludique »

Entretien de Sylvie Chalaye avec Soly Cissé, Sokey Edorh, Freddy Tsimba et Niko

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4 artistes contemporains. Le titre de l’exposition du Centre Wallonie-Bruxelles (du 16 octobre au 23 novembre 2003) n’indiquait rien de plus. Peu importe que Soly Cissé soit sénégalais, Sokey Edorh togolais, Freddy Tsimba congolais (RDC) et Niko franco-togolais. Le dialogue est passé entre les dessins hallucinés, les toiles d’ocre chargées de symboles des deux premiers et les sculptures de bois et de bronze des deux seconds. Un mois durant, le public parisien a pu découvrir le travail de quatre artistes au regard et aux démarches plastiques différents mais tous  » engagés dans leur art « , déterminés à se préserver des modes et des récupérations faciles. Une nouvelle tendance se dessine, celles des indépendances : sans renier les réseaux qui ont pu les faire connaître et avec lesquels ils peuvent continuer à travailler, ces artistes âgés de 34 à 48 ans, revendiquent une indépendance d’esprit, de création et une volonté d’imposer une œuvre pertinente, contemporaine, en prise avec les aléas du monde d’aujourd’hui. Loin des expositions  » ethnicolores  » où les artistes du Continent sont exhibés comme des curiosités exotiques, où les œuvres sont présentées pèle-mêle sans parfois grande cohérence,  » Quatre artistes contemporains  » a su instaurer de fluides correspondances entre des œuvres lucides. Dans le miroir de leur espace commun, elles s’interrogent, se confrontent, et interpellent le spectateur, tirant presque une sonnette d’alarme, sur les mutations d’un monde fait de mille mondes, effaré, suintant de souffrances, de cris silencieux, d’où peut encore surgir l’espoir, gisant, comme recueilli du fond des êtres si tant est qu’on veuille bien l’y chercher. Rencontre avec les quatre artistes au gré de leur passage dans l’exposition.

Vous connaissiez-vous avant d’être réunis pour cette exposition ?
Freddy Tsimba : J’ai rencontré Soly Cissé au Canada aux Jeux de la Francophonie en 2001 puis à la dernière Biennale de Dakar en 2002 et j’ai fait la connaissance de Niko cette année à Bruxelles où j’exposais en juin à l’occasion de l’exposition L’Europe Fantôme.
Sokey Edorh : Je connaissais Soly Cissé et j’ai découvert le travail de Niko à Apt où j’exposais cet été et où il avait fait une résidence quelque temps avant. Nous nous découvrons au grès des expositions et l’émulation crée par une exposition collective réussie est comme un tremplin psychologique d’encouragement. Pour qu’une exposition soit équilibrée, ce qui est le cas de celle-ci, il faut que les œuvres s’harmonisent entre elles. Elles ne doivent pas être mélangées gratuitement. Une exposition collective, tout en préservant la particularité de chacun, doit dégager une certaine homogénéité.
Niko : Les expositions collectives permettent les rencontres entre artistes et cela me paraît primordial pour les artistes du continent qui sont encore marginalisés sur la scène internationale. Je finissais par être gêné de ne pas rencontrer les artistes africains dont je ne voyais que les œuvres. Nous avons besoin de nous regrouper ne serait-ce que pour échanger des idées, des points de vue, nous donner des tuyaux et ouvrir d’autres voies pour éviter de nous cantonner dans des histoires de ministère de la culture, d’Afaa*, de rencontres institutionnelles, de gens qui discourent sur l’art contemporain africain. Je n’ai rien contre ces réseaux, mais il faut y être en toute conscience, en toute indépendance pour ne pas être récupéré. Nous ne sommes pas des gens de mode ! Nous avons des choses à dire, à inscrire et pour cela il faut que nous nous rencontrions.
Sokey parlait d’homogénéité malgré des démarches plastiques différentes. L’emulation crée par l’exposition fait-elle ressortir quelque chose de particulier au travail de chacun ?
Sokey Edorh : Elle crée une symbiose entre des artistes qui, par-delà leur diversité d’expression, ont une vision commune de la réalité africaine, c’est-à-dire les souffrances, les guerres, les mutations. Il suffit de regarder les fusillés des sculptures de Freddy, les corps brisés, floués de Niko, les écorchés de Soly Cissé, les maisons crevées de mes toiles de Koulikouro (Mali). Quelque part, à travers nos créations, on porte la douleur de l’Afrique. Une expression commune se dégage qui, en faisant vibrer les œuvres entre elles, communique avec l’inconscient. Ce qui n’empêche pas au travail de chacun de garder sa personnalité, sa profondeur. Nous ne sommes pas là pour décorer le Centre Wallonie-Bruxelles ni pour former une vitrine, mais pour dire des choses, montrer notre capacité de travail, de réflexion et notre volonté d’être au diapason de ce qui se fait dans le monde contemporain en matière d’art. Nous sommes là pour présenter quelque chose de valable qui nous a pris du temps, de l’énergie, et parfois de notre sang. Nous avons tous végété à nos débuts et le courage qui nous a animés se ressent à travers les œuvres. Nous sommes des artistes créateurs venus d’Afrique mais nous sommes avant tout des artistes contemporains.
Freddy Tsimba : Si nous faisons des œuvres qui parlent de l’Afrique parce que nous venons de là, que nous y vivons, nous nous adressons à tous. Nos œuvres ne se limitent pas au continent dont nous sommes issus. Elles peuvent aussi témoigner d’autres réalités. Nous sommes concernés par les choses du monde. Le malheur du monde est aussi le nôtre. Notre inspiration peut venir de partout. Lors de mon dernier passage en France, j’avais acheté du matériel et notamment des munitions que j’ai rapportées à Kinshasa. Elles m’ont servi à réaliser une œuvre qui parle de la guerre civile en RDC mais aussi de toutes les guerres. Toute personne confrontée à un état de guerre, quelle qu’elle soit, pourrait se retrouver dans cette œuvre. Une de mes sculptures a été récemment acquise à Bruxelles par un acheteur asiatique. Elle lui a parlé et c’est pour cela qu’il l’a achetée. C’est la portée de l’œuvre qu’il faut privilégier, tous les débats concernant la pseudo africanité de nos œuvres sont dépassés. Qu’on le veuille ou non, le train est en marche.
Avez-vous le sentiment d’appartenir à une nouvelle génération d’artistes – dits du Sud – qui refusent d’être labellisés en fonction de leur origine et tendent vers autre chose ?
Sokey Edorh : Cette histoire ne concerne pas que l’Afrique, mais tout le Tiers-Monde. On a eu a débattre récemment de ce problème à Cologne. Une galerie d’art contemporain australienne a été refusée à une foire d’art contemporain soit-disant parce qu’elle présentait des œuvres d’art aborigènes considérées comme ne faisant pas partie de l’art contemporain alors qu’elles avaient été réalisées par des artistes contemporains. Le monsieur qui a rejeté les artistes s’en est défendu soutenant  » qu’il fallait aider ces peuples à garder leur culture et éviter qu’ils copient le mauvais coté de la culture occidentale pour en faire autre chose « … C’est dire que les Africains ne sont pas les seuls à être exclus des circuits de l’art contemporain ! Le débat est global et concerne tous les pays du Sud. On dit que l’art n’a pas de frontières mais on voudrait que nous soyons toujours à la même place à jouer les bons enfants comme au temps de la colonisation. Il y a eu des spéculations sur nos arts anciens, volés par les Occidentaux qui les vendent aux enchères. Ils veulent canoniser ces arts et oublier l’art contemporain. Nous, on va faire partie de l’histoire de l’art, seulement ce ne sera pas l’art primitif, ni l’art africain mais l’art contemporain.
Trois d’entre vous vivent en Afrique où vous êtes, entre autres, confrontés à la faiblesse des réseaux culturels et à la démission des pouvoirs publics en matière de politique culturelle. Comment vous accommodez-vous de ces difficultés ?
Freddy Tsimba : Le statut d’artiste est difficile en RDC. Il n’y a pas de volonté politique de nous aider. La guerre engloutit tout, y compris les artistes. La plupart sont obligés de travailler pour vendre. Ils font donc des choses qui plaisent mais notre rôle n’est pas de faire un travail de séduction. On a fait le choix de devenir artiste. Ca prend toute notre vie. On peut être marginalisé mais on est au-delà de ça. Quand nous gagnons un prix quelque part, c’est le pays qui le gagne ce qui ne nous empêche pas de nous entendre dire  » mais que nous rapportez-vous de concret, vous les artistes  » ? C’est une question en suspend parce que la notion d’artiste n’est pas encore entrée dans les mentalités. Tant que nous serons confrontés aux problèmes de guerres, de famines et autres, les choses ne bougeront pas. Les gens qui ont le pouvoir économique veulent des biens matériels, de belles maisons, de grosses voitures. Ils n’achètent pas nos œuvres qui sont achetées à l’étranger et c’est notre patrimoine qui, une fois de plus, s’en va.
Sokey Edorh : J’ai fait mes études en Europe mais je suis rentré au Togo pour me battre chez moi là où il n’y a pas de musées, pas de galeries, pas de collectionneurs, pas d’acheteurs. C’est avant tout un problème de politique de fond qui touche notre continent. Comment voulez-vous que des oeuvres d’art soient conservées dans des pays où les régimes tirent un trait rouge sur leur Constitution, où les présidents s’auto-proclament à vie, sont prêts à tout pour garder leur pouvoir et empêcher toute opposition, le tout avec les félicitations des chefs d’Etat occidentaux qui sont censés être nos partenaires ? Le combat ne se situe pas seulement au niveau des artistes, mais au niveau des politiques africains qui doivent d’abord commencer par respecter leur peuple, les individus, la créativité, et encourager l’éducation plutôt que l’armement. S’ils continuent à suivre bêtement leur métropole et à mater leur peuple en détruisant leur propre culture, leurs enfants vont se retrouver nus, humiliés à la face du monde.
En tant qu’artiste comment vous érigez-vous contre cela ?
Sokey Edorh : J’ai animé des ateliers où j’ai formé des artistes dans le sens du combat. Beaucoup font partie de l’Ecole de Lomé qui a pas mal de succès auprès des Occidentaux, ce qui n’est pas un mal à condition de ne pas y perdre son âme ni ses convictions. Je monte également des expositions. En 1986, par exemple, j’ai été contraint d’enlever des œuvres sur un campus universitaire qui mettaient en scène des pendus, des prisonniers politiques, des rois qui mangent leur population tandis qu’elles continuent à crier « vive le roi ». Le combat ne se situe plus au niveau de l’immaturité du peuple, ou au niveau des intellectuels qui sont parfois timides voire lâches, mais à l’intérieur même de l’artiste qui à travers son art peut apporter un témoignage essentiel. Au vernissage de cette exposition, j’ai fait une performance contre les plastiques qui inondent l’Afrique. J’avais couvert ma tête de plastique. Bien qu’on ne m’avait pas donné la parole, je l’ai prise pour dénoncer le danger de ces inondations de plastiques sur l’environnement. L’art est toujours engagé. Sur l’un de mes tableaux figurent plusieurs têtes avec des drapeaux africains. Toutes ces têtes sont portées par deux autres têtes, l’une portant un drapeau français et l’autre anglais. Il dénonce le poids des anciens colons. L’art doit pouvoir déranger à certains moments même si cela peut parfois nécessiter une prise de risque. Une de mes œuvres est en prison à Lomé. Elle commémore le 5 octobre 1990 jour où la population s’est rebellée contre le pouvoir. Des civils dont de nombreux étudiants avaient été arrêtés. On s’est battu pour les libérer. Depuis, chaque année, je mets en place un rituel qui invoque le 5 octobre, également fêté à sa manière par le régime. Une année, j’ai fait faire un lanceur de pierre en béton auquel j’avais cassé un bras pour le bander avec du mercurochrome qui coulait sur son corps. J’ai placé la sculpture sur un boulevard de Lomé où elle est restée trois jours. Le quatrième jour quand j’ai voulu la récupérer, elle avait été enlevée par des militaires qui pensaient que c’était le fait de l’opposition radicale. Elle est depuis dans le cachot de la prison. J’ai réalisé d’autres performances de ce genre, dont certaines sont encore en place et je ne peux donc pas en parler.
Vous aussi Freddy vous avez été confronté à la « non liberté » d’une œuvre au cours d’une exposition à Kinshasa…
Freddy Tsimba : C’était il y a 4 ans à l’occasion d’une exposition sur le thème « L’art et la paix » organisée par le ministère de la Culture (à l’époque dirigé par la fille de Lumumba). Nous devions proposer des œuvres en rapport avec la paix. J’ai arpenté tout Kinshasa à pied à la recherche de matériaux. J’ai ramassé des bottes de militaires qui se trouvaient en abondance, des casques troués, des pelles sans manche, des pendules sans aiguilles et je suis rentré dans mon atelier. Mon père me voyant arriver s’est inquiété de tout cet attirail. J’ai pendu les chaussures des militaires surmontées par un crâne de bœuf séché acheté à un prix exorbitant et sur lequel j’ai fixé la pendule tandis que sur le sol gisaient les pelles. J’ai appelé cette sculpture « après la guerre « . Après la guerre voilà ce qu’il reste : on enterre les personnes avec les pelles, on enterre leurs souvenirs, le temps s’arrête, on ne sait plus où on est, on n’a plus de repères. Il ne reste que les morts et le chaos. Les bottes de militaires nous interpellaient sur ce qu’étaient devenus leurs propriétaires. Etaient-ils morts, avaient-ils rejoint le maquis ? Peut-être avaient-ils refusé de tuer les gens… Le jour du vernissage les gens étaient mal à l’aise. Le lendemain, des militaires ont débarqué sur le lieu de l’exposition à la recherche de l’auteur de l’œuvre. Ce jour là, la sculpture a été enlevée, et j’ai dû me cacher pendant deux semaines.
Dans ces deux cas où vous avez intégré à vos œuvres des symboles forts des réalités de vos pays respectifs, l’acte de créer devient t-il subversif ?
Freddy Tsimba : J’ai avant tout exprimé ce qu’a éveillé en moi le thème de « L’art et la paix » dans le contexte de guerre civile que traverse mon pays. Mon intention n’était pas de faire quelque chose de subversif, mais d’exprimer ce que je ressentais face à un état de fait. C’est la rue qui m’a donné les clés de cette œuvre, je n’ai fait que ramasser ce qui s’y trouvait. La vraie école pour moi, même si j’ai fait les Beaux-Arts de Kinshasa, c’est la rue où je me fournis en abondance. Mes maîtres ont été les forgerons auprès desquels durant cinq ans, j’ai appris la technique du feu et de la soudure.
Sokey Edorh : Une œuvre d’art est ce que l’on y met et ce que celui qui la regarde en fait. Si certaines de nos œuvres mettent mal à l’aise, c’est bien qu’elles éveillent quelque chose chez l’autre. L’art peut-être subversif tout en étant ludique. Il y a quelque chose de ludique dans les performances que je fais mais cela n’empêche pas la gravité du propos. Chacun d’entre nous a vécu des choses dures. Quand on est confronté à l’âge de huit ans à la violence militaire, quand on voit son père giflé parce qu’il ne veut pas dénoncer un ami, et lorsque l’on voit ce même ami tué par la suite, on est marqué à vie. On vit le risque au quotidien, la délation, la mort nous suivent. Tout cela peut être en germe dans une œuvre. Mon travail peut mettre en avant la vérité des choses, le coté transparent du fait, mais il ne s’arrête pas à cela. Je ne veux pas tomber dans le misérabilisme, j’ai besoin de donner de la joie.
De vos œuvres, même si elles restent en prise avec le réel, se dégagent en effet un certain apaisement, comme une mise à distance …
Sokey Edorh : Le bois de Niko, les bronzes de Freddy, la latérite avec laquelle je travaille sont des matériaux nobles. Nous avons choisi de travailler avec des éléments naturels sans trop cacher ni trop embellir. Il y a une spécificité qui se dégage des œuvres qui rassure, qui apaise. On crée avec une énergie puisée dans notre vécu. Si la guerre s’annonce, il faut l’intérioriser, faire la guerre avec soit-même et en même temps redescendre vers un fond profond qui est difficile à atteindre. Il nous faut transformer notre violence en paix. C’est pourquoi nos œuvres en même temps qu’elles interrogent peuvent dégager quelque chose de paisible. Et c’est cela qui fascine.
Niko : De la souffrance peut aussi naître la beauté sans pour autant qu’elle soit mise en pâture. Pourquoi travaille-t-on les matériaux originels ? Parce qu’en Afrique le rapport à la terre est très important, il y a un respect de la terre. Il n’est pas vécu de la même façon en Europe. La terre africaine est tellement pauvre, bafouée qu’elle en devient symboliquement très importante. Avec cette exposition, on a réussi une vraie exposition d’art contemporain, sans photo, sans vidéo, sans matériel sophistiqué. Il y a du bois, de la pierre, du papier, du crayon, de la peinture, des choses simples.
Qu’avez-vous contre les matériaux  » sophistiqués  » ?
Niko : Rien. Les institutions, les grands critiques, les intellectuels, beaucoup considèrent que ce qu’on fait ce n’est pas contemporain, c’est africain. Je ne suis pas d’accord. J’ai fait une proposition d’installation de mes sculptures lors d’un rendez-vous avec un musée contemporain parisien. J’ai présenté mon projet sur le thème de  » la fragilité de la vie  » mettant en scène mes sculptures de bois reliées par des bouts de laine. A la fin, on m’a demandé où je comptais installer la vidéo ! Je ne suis pas contre les installations vidéos qui peuvent être très fortes dès lors qu’elles ne sont pas gratuites. Je suis très intéressé par l’art contemporain sous toutes ses formes mais justement sous toutes ses formes. Beaucoup de gens ont finalement une vision très technologique de cet art ; dès que les matériaux utilisés sont un peu bruts ou récupérés, on nous étiquette.
Quel rôle peuvent jouer les artistes pour lutter contre cette tendance persistante ?
Soly Cissé : Le problème se situe au niveau des critiques, pas au niveau des artistes. Il y a de moins en moins de critiques d’art intéressants. Actuellement, il y a souvent de très mauvaises interprétations de ce qui se fait en matière d’art contemporain et notamment concernant l’art soi-disant contemporain africain qui ne doit pas être posé comme tel. Les critiques ont du mal à faire la part des choses et à pénétrer certaines nouvelles formes d’expressions artistiques qu’elles appréhendent toujours de la même façon c’est-à-dire en faisant des références :  » le Giacometti africain « ,  » le Basquiat africain  » ou  » le Picasso africain « , qu’est ce que cela veut dire ? Si je travaille avec un artiste américain avec lequel je mets en œuvre un projet commun, il y aura la touche de l’américain et la mienne, comment appellera-t-on ce travail ?
Je crois au métissage des œuvres qui peut engendrer des associations très fortes. Je peux travailler sur une sculpture de Niko, et créer une nouvelle oeuvre. L’art c’est le seul domaine où l’on peut s’autoriser à faire des emprunts aux autres. C’est ce qui faisait la force de Picasso qui avait l’intelligence de la transformation. La majorité du public réclame un art universel qui brise les frontières et transperce les barrières. C’est l’ouverture vers les autres, la diversité qui fait avancer l’art. Prenons l’exemple du mouvement cubiste qui a été un véritable choc dans l’évolution de l’art. Il est né de la volonté des artistes, à un moment donné, de changer leur manière de s’exprimer. Ce sont les diversités d’expressions qui font aujourd’hui évoluer l’art contemporain.
Comment cette évolution se perçoit-elle (ou pas) au niveau de la formation artistique sur le continent ?
Niko : Pour de nombreux artistes vivant sur le continent, les enseignants des Beaux-Arts en Afrique sont des anciens artistes qui se sont enfermés dans un certain académisme. C’étaient plus des artistes de cour devenus fonctionnaires. Ils s’encroûtent et n’ont plus la hargne de faire d’un étudiant un artiste qui a la pêche. D’après Soly et d’autres, les étudiants font une fixation sur le manque de matériel disant que cela les empêche de travailler.
Soly Cissé : Les jeunes artistes ont besoin d’être aidés, stimulés, ouverts sur le monde de l’art. Il faut les aider à découvrir l’histoire de l’art en les incitant à se documenter, à aller dans les bibliothèques, notamment des Centres culturels français, mais aussi à se poser des questions, à débattre. Ils doivent également s’informer de ce qui se fait actuellement un peu partout dans le monde. Quand j’ai le temps, je vais aux Beaux-Arts de Dakar rencontrer les étudiants. Nous discutons, je les incite à créer sans attendre que les fournitures tombent du ciel. La nature est là. Ils n’ont qu’à se servir dans leur environnement. Si le temps me le permettait, je me consacrerais bien à l’enseignement. J’ai animé un atelier à Ouagadougou à la Fondation Olorun. Ça a été une expérience enrichissante. Je ne suis pas plus intelligent ni plus artiste que les artistes avec lesquels j’ai travaillé là-bas. Je n’étais pas là pour imposer quoique ce soit, c’était un échange au cours duquel je leur ai proposé de se débarrasser de leur « réflexe de création » pour retrouver l’essentiel, revenir à des choses basiques : dessiner, travailler la couleur dans la liberté. Il faut être exigeant avec soi-même et ne pas se contenter d’intégrer des éléments avec facilité. Ceux qui ne persévèreront pas auront beau être diplômés, une fois sortis des Beaux-Arts, ils feront autre chose. Le don ne suffit pas, il faut s’engager à fond dans son art et assumer ses responsabilités. Combien d’artistes le font ?

*Afaa : Association française d’action artistique///Article N° : 3224

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Les images de l'article
Soly Cissé, détail Série Mondes perdus, 2003, Crayon sur papier, 57,5 x 207 cm
Sokey Edorh, "Agou Tokebo", latérite et acrylique.
Niko, sculpture © DR





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