Et la lumière fut

D'Otar Iosseliani

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Je n’avais jamais vu Et la lumière fut mais en rêvais, tant j’étais curieux de savoir quel regard un cinéaste aussi passionnant pouvait développer sur l’Afrique. D’origine géorgienne, Iosseliani vit essentiellement en France. Ses films, à commencer par son chef d’oeuvre Les Favoris de la lune (1984), sont construits comme une partie musicale, d’une extrême fluidité, et tissent une vision amusée de la circulation des hommes et des choses. On retrouve dans ce film tourné en pleine brousse africaine le même regard ludique. Le réalisateur se met d’ailleurs lui-même en scène en fin de film, une paire de jumelles à la main, à observer de loin l’incendie qui ravage le village. Car sans jamais révéler qu’en de rares encarts à la façon du cinéma muet les dialogues qu’échangent les villageois dans leur langue, c’est le drame de leur exil face à la déforestation effrénée qui se joue devant nous.

Devant nous, car nous sommes les spectateurs étonnés d’un jeu extérieur, comme nous le sommes des burlesques de la grande époque. C’est ce jeu qui fait tout l’intérêt du film plutôt que ce qu’il nous raconte : Iosseliani assume son regard foncièrement exotique, le pousse à bout, ajoutant à la distance des clichés sur l’Afrique des éléments déroutants conférant au film une étonnante tension, comme l’inversion du pouvoir entre hommes et femmes, ces dernières chassant tandis que les hommes lavent le linge à la rivière, charriant l’eau sur leur tête et obéissant à leurs épouses – ou bien cette magie quotidienne qui permet de recoller une tête sur un corps ou dominer la pluie. C’est ainsi en allant plus loin que le simple cliché, en le prenant lui-même comme sujet, qu’Iosseliani tente d’échapper à l’exotisation réductrice.

C’est aussi en ne traduisant pas le langage des villageois, en les laissant parler d’eux-mêmes par leur rythme et leur phonétique, qu’il cherche à éviter le piège d’un regard qui croirait savoir de l’extérieur ce que ces gens pourraient se dire. Pourtant, les cases sont bien là, les seins des femmes se balancent, la communication se fait au tambour, bref ce que peut la littérature, le cinéma ne le peut pas : il n’échappe pas aux images et à leur signifiant exotique, si bien qu’on se demande un peu ce qui a poussé Iosseliani dans cette galère aux relents d’autant plus ambigus qu’il traite l’image à la façon des vieilles photos aux tons saturés et aux corps bleutés du temps des colonies.

En définitive, l’opposition (qui fait l’argument du film) entre un âge d’or rêvé issu d’une vision idyllique des sociétés africaines et leur perversion par l’arrivée d’un extérieur aussi fascinant par sa technique et ses objets que repoussant par son inhumanité relève elle-même tant du cliché qu’elle emporte tous les efforts du cinéaste pour nous convaincre que tout ceci n’est après tout qu’une simple fantaisie.

///Article N° : 3360

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