Un amour d’enfant

De Ben Diogaye Bèye

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La chronique : c’est le mode choisi par Ben Diogaye Bèye pour porter un regard apparemment détaché sur la société sénégalaise d’aujourd’hui. Mais plutôt que de le centrer sur le monde des adultes, il décrit le microcosme enfantin avec ses conflits violents et ses rapides réconciliations, et cette mise en relation perpétuelle des filles et des garçons qui préfigurent les premiers amours. Ici tout est finesse et retenue. Pas de démonstration engagée ni de message empesé. Pas d’innovations stylistiques non plus : le film s’attarde sur les relations des enfants et les inscrit dans la géographie de leur environnement. Dakar est un personnage à part entière, sur lequel s’attarde volontiers la caméra. Le rythme du film est à l’image de cette retenue, un peu désuet, du temps où l’on croyait encore à la générosité des regards, à la valeur des gestes simples, à la magie des croyances enfantines. S’il capte les attentes et les regards, c’est que chaque geste compte, y compris les doigts qui en frôlent d’autres à défaut de pouvoir dire ses sentiments.
Pas d’histoire trépidante non plus : une série de saynettes plutôt, qui orchestrent des prises en charge et des envies, des colères et des pardons, des pudeurs et des audaces. Lorsqu’Omar transgresse cette retenue et passe à l’écrit, sa lettre qui commence par  » ma chère chérie  » deviendra l’objet d’un litige. Le monde des adultes intervient sans comprendre la pureté des sentiments. Même si les enfants se contentent finalement de l’imiter, il représente pour eux les limites de leur possible car il est lui-même conditionné selon les classes sociales et les aléas économiques, posés comme raison de l’impossibilité de vivre les valeurs ancrées (comme l’hospitalité et l’accueil des amis pour le goûter). Manifestations et répression violente ne concernent les enfants que par ce qu’elles leur permettent : resserrer un peu plus leurs liens, oser enfin se toucher. Lorsque la vie des adultes les sépare, la lune sera là pour les réunir à nouveau, car ils savent encore faire confiance à leur imaginaire.
Wasis Diop peut alors donner dans sa belle chanson finale toute l’ampleur nécessaire au rite de passage qui nous a été donné de partager : forts de leurs amours autant que de leur façon de résoudre leurs conflits, ces enfants sont prêts à entrer dans l’adolescence où ils se confronteront aux adultes. Là est sans doute ce que veut nous dire ce film hors-mode : n’empêchons pas les enfants de vivre leurs amours ; ils y vivent les valeurs et repères mais aussi la poésie qui nous importent à tous.

///Article N° : 3366

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