Ma famille africaine

De Thomas Thümena

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Bâti comme une chronique au jour le jour des difficultés posées par la différence culturelle dans un couple mixte, Ma famille africaine est en fait le récit à la première personne d’un Suisse germanique marié à une Ivoirienne couvrant les trois années qui suivent la naissance de Jan, leur enfant. A la voix-off de Thomas expliquant ses ressentis ou les grandes phases de leur histoire commune, renforcée par quelques conversations avec celui qui tient la caméra, Léa ne peut répondre que par des explications frontales ou en discussion avec Thomas. Le pouvoir de Thomas est ainsi triple : il réalise le film (et en détermine donc le contenu), il est le narrateur de l’histoire (et induit donc développements et conclusions), il personnifie sans cesse le récit (et exclut ainsi le spectateur de tout rôle actif). Bref, il témoigne de façon univoque, procédant par interviews des parents, reconstitution des conversations, récit en voix-off.
De quoi témoigne-t-il ? D’une grande difficulté : « Le fait que tout est plus compliqué que ce que nous avions imaginé est notre principal point d’accord », dira-t-il en conclusion. Pourtant, l’intimité du couple est peu abordée, en dehors du début du film où Thomas ne peut assister à l’accouchement ou bien les tensions liées à des positionnements psychologiques différents comme l’énervement de Léa face à Thomas lorsqu’il se dit triste qu’elle ait raté son examen pour une formation de laborantine. L’accent est mis sur les marques culturelles. Il est vrai que si l’amour est universel, les cultures ne le sont pas : on peut s’aimer mais on est vite rattrapé par les choix comme le fait de circoncire ou non l’enfant. C’est dans ces tensions, ces recherches nécessaires de délicats compromis, que naissent les conflits identitaires renforcés par la difficile intégration dans une société étrangère.
Mais le film est dominé par un constant malentendu sur la question financière : Léa n’a pas l’impression que Thomas assume son rôle de la prendre en charge, et surtout, les constantes demandes de la famille abidjanaise, accentuées par la dégradation de la situation politique, mettent le couple dans l’embarras, Léa se sentant obligée de répondre à ces demandes de solidarité et Thomas les trouvant abusives. C’est là que la suprématie de Thomas dans le récit filmique pose le plus problème car elle en déplace le sens : cette attente de la famille africaine perd toute légitimité alors même qu’elle se résout finalement par un compromis mal digéré par Thomas mais somme toute fort pertinent avec l’attribution d’une somme fixe chaque mois. Ce que cette insistance sur ce qui est considéré comme un abus (« ils deviennent le soutien de toute la famille », dira la mère) alors que c’est tout naturel du côté africain se fait au détriment de la valorisation des essais d’intégration de Léa, laquelle n’est présentée que dans ses demandes d’aide alors qu’elle affronte le lent apprentissage de l’allemand, la recherche de travail, la réussite à un examen pour suivre une formation, les mille et une adaptations à un mode de vie différent. La réciproque n’est pas évidente lorsqu’ils sont en visite à Abidjan, Léa signalant à Thomas qu’il serait plus à l’aise s’il acceptait les habitudes locales plutôt que tout critiquer.
Si ce récit autocentré se veut donc sincère, laissant entrevoir avec lucidité les problèmes émergeant d’une différence culturelle dans le couple, il souffre d’un grave déséquilibre qui sous couvert d’honnêteté tend finalement à renforcer les clichés.

///Article N° : 3472

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