Djourou, une corde à ton cou

De Olivier Zuchuat

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« Je suis né dans un pays qui accueille plus volontiers l’argent des étrangers que les étrangers ». Le ton de ce film sera résolument personnel. Et les images saccadées de cygnes sur le lac Leman annoncent elles aussi un ton décalé chaque fois que le commentaire se penche sur la relation au sujet. La Suisse ne sera pas le lieu du film, même si l’on y retourne pour suivre les traces des comptes où viennent dormir l’argent détourné. Car c’est bien l’Afrique le centre, et plus spécialement le Mali.
Ce que nous conte Olivier Zuchuat avec la douceur du désespoir est tout aussi édifiant que Le Cauchemar de Darwin mais il n’utilise pas les ficelles éculées du sensationnel misérabiliste : ce film n’aura pas le même succès public mais il servira sans doute davantage son sujet. Le sérieux adopté dans l’approche le fait passer du reportage fondé aux archives historiques pour cerner en partant de l’exemple du coton malien les différentes strates du cycle infernal de la dette. Le réalisateur assume ses choix, non seulement par son commentaire engagé qui annonce clairement la couleur, mais aussi et surtout par la façon dont il donne la parole aux intéressés. Il est frappant de voir à quel point le degré de conscience et même de rhétorique du paysan malien est tout aussi élevé que ce dont témoigne leur ministre : tous ne peuvent que tirer un accablant constat d’un engrenage sans fin. Toute la chaîne est endettée, du paysan à l’Etat et chacun s’endette pour payer la dette. Le film n’est donc plus l’histoire de la dette mais la dette de l’Histoire. Et nous voilà parti dans les actualités d’époque qui nous rafraîchissent la mémoire sur l’Histoire malienne : sous Modibo Keïta, on croit que le progrès socialiste remboursera la dette, c’est du moins ce qu’affirment aussi bien le parti que les bailleurs. Sous Moussa Traoré, l’aide au développement sera l’arme de la France pour s’acheter la dictature. Pas de souci : elle est liée – les prêts financent les entreprises françaises. Comme le dit Georges Bataille, « la dépense n’a pas été productive » et la perfusion est devenue ponction. Les dix ans d’Alpha Oumar Konaré ne renverseront pas la vapeur des compromissions et corruptions, si bien que les rapeurs peuvent chanter : « Les magouilles dans notre pays, on va tout vous raconter ».
Qui s’endette perd sa liberté : FMI et Banque mondiale font les politiques et serrent la ceinture, tandis que le remboursement de la dette est plus cher que les budgets de l’Education et de la Santé réunis. Dans son ironie amère, le film cherche des métaphores et les mets en images : des fillettes s’escriment à puiser de l’eau tandis que le commentaire nous parle d’une Afrique qui cherche à mettre la tête hors de l’eau.
Ce n’est qu’à ce degré d’illustrations clins d’oeil que le film se dégage d’une scolaire démonstration : la poésie est absente, place au sujet. Les spécialistes sont convoqués dès qu’une explication est nécessaire. Le spectre libéral du Nepad est évoqué par un griot comme un « monstre invisible » : « Vous êtes en train de vous faire avoir à nouveau ». Injustice : les Etats-Unis et l’Europe subventionnent leur coton sept fois plus qu’ils n’aident au développement. Et le Mali ne produit pas un seul T-Shirt.
La recolonisation : pour annuler la dette, on la convertit en aide au développement… des entreprises françaises. La publicité de Western Union le dit bien : « J’envoie beaucoup plus que de l’argent ». « Je te donne, tu me dois » : quelle puissance voudrait annuler un si bel outil ? Sans avoir la puissance cinématographique d’un cri d’alarme, le film-constat d’Olivier Zuchuat appelle à la vigilance en soulevant le voile des beaux discours de générosité alors même qu’ils font la une des journaux, ce qui est loin d’être inutile.

///Article N° : 3866

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