Dunia

De Jocelyne Saab

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Situé en Egypte, Dunia s’inscrit dans la récente veine de films sur des femmes en quête d’affirmation de soi que l’on a pu notamment trouver dans le cinéma tunisien avec Satin rouge de Raja Amari ou Fatma de Khaled Ghorbal. Se heurtant aux enfermements d’une société machiste qui prétend contrôler leur corps pour maîtriser leurs faits et gestes, ces femmes doivent s’émanciper du poids des coutumes obsolètes et des restrictions qui leur sont imposées. Mais elles ne peuvent le faire qu’en s’appuyant sur les valeurs portées par une tradition culturelle encore bien présente à travers la littérature, la poésie, la musique et la danse. C’est en étant fidèles à une tradition plus ouverte qu’on ne le croit qu’elles peuvent être infidèles aux coutumes rétrogrades. Le programme de Dunia est ainsi de se référer aux Mille et une Nuits et à la poésie amoureuse soufie, aujourd’hui mise de côté pour « pornographie », autant qu’à la mystique et la sensualité des danses et musiques orientales pour lutter contre le conservatisme ambiant, secouer les consciences et appeler les femmes à rechercher leur propre voie.
« Je n’ai jamais vu mon corps ». L’aveu de Dunia, dont le prénom signifie « l’univers », lors d’une audition où on lui reproche de ne pas vivre son texte, pourrait être celui de nombre de femmes arabes. A son excision (pratiquée à 97 % en Egypte nous indique un encart final du film, l’Egypte et le Soudan étant les deux pays arabes où elle est encore largement en vigueur) répond celle des femmes qui l’entourent. Le film ne se contente pas de dénoncer cette pratique barbare mais la contextualise dans la vision d’une excision plus large, celle d’un monde intellectuel arabe qui par conformisme ou par peur se voile sa propre histoire et se replie sur des tabous. Pour tourner la censure, Jocelyne Saab se devait de replier son discours sur la tradition littéraire, mais sans doute est-ce là que le film trouve sa grâce car il évite ainsi tout discours de pancarte. Le corps de cette jeune femme qui s’achète un miroir et danse merveilleusement parle plus clairement que le moindre tribun, et c’est bien pourquoi le film déclenche la polémique au Caire. Doublement politique, il remet en cause la répression du plaisir et l’enfermement de la féminité en société arabe autant qu’il ouvre le regard occidental sur la richesse d’une culture trop facilement réduite à ses expressions intégristes.
Volontiers coloré et clinquant, le décor rend hommage à l’effervescence artistique orientale tandis que la proximité des corps et la sensualité ambiante la resituent dans l’ouverture des sens qu’elle autorisait. Les rues grouillantes du Caire résonnent au diapason dès le générique à ce tremblement général que le professeur-journaliste Beshir touche du doigt après qu’un attentat l’ait rendu aveugle, aiguisant sa sensibilité. C’est lui qui introduira Dunia à l’expérience de la tumultueuse extase spirituelle dont est imprégnée la mystique soufie et qui passe par ce couple mort-renaissance que devra vivre Dunia dans sa relation avec son amoureux afin de pouvoir se réapproprier son être.
Riche en plus de la diversité de ses musiques qui puisent à tous les répertoires et les mêle à plaisir, le film est ainsi tiraillé entre de nombreux discours, personnages et situations qui le rendent un peu touffu. Le thème de l’excision mis en avant par l’encart final n’est finalement pas le thème central du film qui tourne davantage autour de l’expérience personnelle de réappropriation de soi. Le spectateur occidental est par ailleurs peu habitué à l’exaltation poétique que l’on trouve ici mise en avant comme dans nombre de films arabes. Il ne rentrera donc pas dans le film sans un certain effort mais s’en trouvera récompensé car Dunia l’emmène avec un véritable brio de mise en scène sur des terrains peu communs. Touffu n’est pas confus : Dunia est une belle introduction à la compréhension d’une culture terriblement réduite par les médias autant qu’un appel sans ambiguïté au respect de toutes les femmes.

///Article N° : 4345

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