Bled Number One

De Rabah Ameur-Zaïmeche

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Après Wesh wesh, ça me regarde ! (2002) où il restaurait de l’intérieur un autre regard sur les cités, Rabah Ameur-Zaïmeche se rend au bled, dans son village natal de l’extrême-est algérien et y trouve de quoi élargir et singulièrement élever sa vision de cinéma. Ne donnant ni dans la sociologie ni dans la pure fiction, son apparente rudesse peut déconcerter mais elle vaut éminemment le détour car elle amène justement une autre compréhension, au-delà des clichés et des projections.
Comme dans son précédent film, Ameur-Zaïmeche filme en vidéo et incarne Kamel, expulsé de France à sa sortie de prison. Il a au départ la désinvolture physique de son regard. Il est plutôt heureux de partager le rythme du bled où le temps passe différemment, des thés sur la terrasse à la fête de la zerda où un bœuf est sacrifié devant la communauté réunie et sa viande partagée en parts égales sur un tapis de rameaux d’oliviers. Le film se fait impressionniste et rappelle les couleurs des peintures de Delacroix en Algérie que le cinéaste dit affectionner. Volontiers solaire, l’image est proche des éléments, du vent et surtout de cette terre qui structure et guide les humains.
Mais en écho au sang qui coule dans la zerda, son cousin Bouzid est lui aussi violemment menacé de mort par de jeunes intégristes qui le trouvent ivre à traîner ses bières. L’intolérance travaille en profondeur sa société d’origine. Bouzid bat sa sœur Louisa parce qu’elle quitte son mari et humilie ainsi sa famille. Des barrages sont érigés sur les accès au village pour contrôler les entrées. Le patriarcat fait des ravages et chacun domine l’autre.
Ce sont ces corps sous tension qui intéressent Ameur-Zaïmeche. Il se concentre de plus en plus sur leur déchirure pour déboucher sur un trop-plein de folie. Dans l’asile où on enferme Louisa, les femmes chantent que les vrais fous sont dehors. Mais son constat n’est pas forcément accablant. Kamel n’est victime de personne, ni de la France ni de l’Algérie – il est simplement celui qui voudrait s’ancrer mais qui s’échoue, comme les paquebots rouillés du rivage. Son exil est une assourdissante guitare dont les échos sauvagement électriques ne peuvent produire une harmonie. Il voudrait pouvoir se baigner avec les femmes en légèreté, sans devoir se mesurer aux hommes. Il rêve d’une terre algérienne qui reconnaisse sa féminité pour ne plus devoir voir le ciel à contre-jour. Et signe pour cela un film tendu, subtil, vibrant du désir d’un possible qui n’est encore que pour demain.

///Article N° : 4424

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