Africa paradis

De Sylvestre Amoussou

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L’inversion des rôles est largement utilisée en tous sens au cinéma. Ce que l’on perçoit comme des anachronismes permet par le biais de l’humour de pointer une réalité. Si le Blanc devient Noir comme dans Ayaba des Béninois Ignace Yechenou et Claude Balogun (2004) où le personnage interprété par Luis Marques se retrouve Noir par sorcellerie, il perd ses privilèges et se voit au contraire confronté aux discriminations. De même, si le riche devient pauvre, il a droit au mépris et au rejet. La science-fiction d’Africa paradis inverse le rapport Nord-Sud et dénonce ainsi le présent. Nous sommes en 2033 et les déchirements de l’Europe ont provoqué son déclin tandis que l’unité de l’Afrique a engendré sa prospérité. Il est permis de rêver mais il est frappant qu’aussi bien dans le roman d’Abdourahman Waberi Aux Etats-Unis d’Afrique paru en 2006 que dans Africa paradis, c’est la réalisation du vieux rêve panafricaniste d’une union économique et politique qui engendre l’inversion des richesses.
Un couple de Blancs essaye donc d’obtenir un visa, se voit opposer un refus et finit par tenter l’émigration clandestine mais est arrêté et placé dans un centre de transit. L’institutrice Pauline est engagée comme femme de ménage par Modibo, un député modéré (interprété par le réalisateur qui se donne ainsi le beau rôle) qui s’oppose aux discours xénophobes de « l’Afrique aux Africains » du député Yokossi (Emil Abossolo M’bo). L’informaticien Olivier parvient à s’échapper du centre de transit et, pourchassé, se réfugie dans un appartement communautaire du « quartier blanc ». Il se joindra aux autres lors d’une manifestation des Blancs au dénouement dramatique.
« L’Afrique ne peut pas accueillir tous les déshérités de la terre » : Sylvestre Amoussou, qui vit en France depuis vingt ans, schématise sans nuances les discours et les situations, histoire de stigmatiser la xénophobie actuelle dans la sphère politique et sur le terrain. Mais quelle alternative offre dans le scénario l’Afrique en position dominante si ce n’est de copier-coller l’idéologie et les discriminations européennes du début du 21ème siècle ? Dans la dualité ambiante, le député Modibo est le seul à incarner une vision et une pratique de tolérance, en politique comme face à sa femme raciste à qui il imposera Pauline lorsqu’elle demande une femme de ménage. Il sera lui-même victime d’une conspiration d’extrême droite visant à l’empêcher de faire voter une loi moins contraignante dont les contours restent flous si ce n’est de proposer davantage d’humanité dans le traitement des immigrés.
N’est-ce pas effectivement ce qui manque fondamentalement aujourd’hui ? Le film s’emploie à le montrer grâce à la prestation d’une pléiade de grands acteurs où l’on reconnaît notamment Cheik Doukouré, Eriq Ebouaney, Maryam Kaba. Sylvestre Amoussou a mis le paquet pour faire un film qui marque : un tournage en 35 mm pour une image de qualité et une belle musique originale composée par Wasis Diop en phase avec le rythme du film. Même si la mise en scène peine à pallier au manque de moyens qui limite l’ampleur de nombreuses scènes, on se laisse entraîner par l’énergie et la sincérité d’une histoire qui puise dans les ficelles du thriller et par les pointes d’humour. Tout immigré se reconnaîtra sans peine dans les références à son vécu. La stéréotypie des personnages risque de tenir davantage les autres spectateurs à distance, mais le film mobilise chacun par son engagement pour un monde plus tolérant.

///Article N° : 4577

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