Mémoires de porc-épic

D'Alain Mabanckou

Le maître de parole, le Renaudot et le porc-épic
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Mémoires de porc-épic, dernier roman d’Alain Mabanckou vient d’être couronné par le prestigieux prix Renaudot qui lui avait échappé en 2005 – au profit de Nina Bouraoui – pour son roman Verre Cassé.

Dans son précédent roman, Verre cassé, Alain Mabanckou racontait l’histoire d’un ivrogne, que le patron d’un bar, nomme chroniqueur attitré de son établissement. Conçu comme le délire ludique d’un ivrogne, Verre cassé, s’achevait sur une note tragique : la noyade de son héros. Seulement voilà, avant son décès, notre chroniqueur avait pris soin de laisser dans un bosquet, le manuscrit de son second roman. Retrouvé par Mompéro, un fidèle client du bar, ce manuscrit vient d’être publié aux éditions du Seuil. À la manière des conteurs, qui reprennent leur récit, là où ils l’ont laissé, Alain Mabanckou a imaginé Mémoires de porc-épic et Verre Cassé comme un diptyque sans pour autant que l’un soit la suite de l’autre. Verre Cassé était une brève de comptoir, qui, au fil du récit, devenait une anthologie jubilatoire de la littérature ; Mémoires d’un porc-épic est une fable. Le roman raconte l’histoire d’un porc-épic, chargé par son double humain Kibandi, d’accomplir une série de meurtres, qui suscitent colère, émoi, terreur et indignation dans le village…
Si avec Verre cassé, l’écrivain avait réussi le tour de force littéraire, qui consiste à écrire un roman érudit et populaire libérant par là même la littérature africaine de ses problématiques habituelles (dictature, guerres, condition de la femme, etc.), dans Mémoires d’un porc-épic, il tente un pari osé : fondre le conte dans un genre moderne. C’est sans doute, ce travail expérimental que les jurés du Prix Renaudot ont salué. Le thème du double est un classique de la littérature, évoqué généralement dans les contes, mais ici, il est traité par Mabanckou à travers la parodie. Or, la parodie, comme l’écrit si bien le formaliste russe Iouri Tynianov est un rapport de belligérance entre les œuvres. Par-là, elle constitue un facteur essentiel de l’évolution littéraire…
Le lecteur appréciera du reste, le fait que ce roman, qui  » humanise  » l’animal paraît au moment où l’homme, ce bûcheron des bêtes et assassin des arbres pour reprendre l’heureuse expression de Marguerite Yourcenar, menace plus que jamais l’équilibre de notre écosystème. Voilà sans doute une seconde raison, qui a séduit le jury, (particulièrement son président. M G Le Clézio), qui, faut-il le rappeler, avait déjà remarqué verre cassé.
Ainsi, après avoir salué Le devoir de violence de Yambo Ouologuem en 1968 et Allah n’est pas obligé en 2000, Le Renaudot consacre Alain Mabanckou en 2006. Deux prix Renaudot en moins d’une décennie. Cela vaut bien une fête pour une jeune littérature ! Un regret cependant : la blessure du lauréat. Ceux qui ont salué la verve cocasse de Verre Cassé, ont minoré la profonde nostalgie de son héros, qui se suicide à la fin du roman pour rejoindre sa mère ; ceux qui ont apprécié mémoires de porc-épic n’ont pas été assez sensibles sur un détail : la mère de l’auteur est à la fois la dédicataire et l’inspiratrice du roman. Or, douze ans après le décès de Pauline Kengué, Alain Mabanckou, malgré les quatre livres qu’il lui a dédiés et ses nombreux succès littéraires, reste inconsolable.
Un seul être vous manque….

(1) Ed. du Seuil, 2006, Paris///Article N° : 4656

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© ©D.Gaillard/Seuil





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