René Vautier : « il faut vivre avant de raconter »

Entretien d'Olivier Barlet avec René Vautier (1998)

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Rencontre avec René Vautier aux Etats généraux du documentaire de Lussas en 1998. Il évoque son combat anticolonialiste, le devenir d’Afrique 50 et la terrible situation en Algérie à l’époque de notre rencontre.
René Vautier nous a quitté le 4 janvier 2015 à l’âge de 86 ans. Tous ceux qui l’ont connu se souviennent de sa vitalité, de son humour, de son amour de la vie et de son engagement sans faille.

Afrique 50 fut interdit en vertu du fameux Décret Laval qui ne s’appliqua donc finalement qu’à un Français ?
Effectivement. J’ai été condamné en vertu d’un tournage de film en Afrique sans autorisation doublé d’une agression sur le policier que j’avais découvert en train d’essayer de voler les négatifs dans ma chambre à Abidjan. Il s’agissait de les détruire, comme cela avait été le cas pour le film de Sacha Vierny sur l’Algérie qui avait été saisi au laboratoire de Gennevilliers.
Le film a-t-il été vu par les Africains ?
Oui, et notamment par un cinéaste qui m’appelle  » Papa  » alors qu’il a quatre ans de plus que moi : Sembène Ousmane ! Nous nous connaissions tous. Je suis par exemple la voix du chanteur de rock blanc dans un des premiers films de Djibril Diop Mambety. Lequel a dit le poème dans mon film Le Glas !
Quelle est l’histoire du Glas ?
J’étais parti en Rhodésie pour tourner sur les pendus de Salisbury après que Ian Smith ai rejeté la demande de grâce de la Reine d’Angleterre. Quand je suis arrivé à l’aéroport, la police m’a immédiatement arrêté, détenant des rapports sur moi de la police française. Avec deux autres expulsés comme moi, dont un peintre, nous avons décidé de faire le film quand même, avec ses peintures et des astuces du style  » Ian Smith is not a gentleman  » en bulle collée sur la photo de la Reine etc. ! Le film était rejeté par la commission de censure française pour injure à chef d’Etat étranger. Mais comme la version anglaise était sortie à Londres, il est finalement passé. Et le film est passé à la télévision du Zimbabwe le jour de l’indépendance.
Tu t’es engagé pour l’indépendance algérienne aux côtés du FLN : comment vis-tu la situation actuelle ?
Les Algériens ont récemment fait un documentaire télé sur moi, intitulé René Vautier, l’homme de paix. Dans ce film, je rencontre une ancienne combattante algérienne, une dame très rangée aujourd’hui mais qui avait 17 ans à l’époque, qui me dit :  » René, tu te souviens, le plus dur c’était les poux !  » Les Algériens ne voulaient pas garder ce passage et je les en ai convaincu. Je crois que c’est là le problème : pour refléter une réalité, il faut accepter les poux !
Donc refuser toutes les formes de censure ?
Ce qui me met en colère, c’est de voir que dans l’Algérie d’aujourd’hui on arrive à me répondre lorsque je reproche les tortures dans les locaux de la police que c’est Bigeard qui a introduit et enseigné la torture en Algérie et que notre démocratie en a fait un ministre ! C’est une mauvaise graine que nous avons laissé pousser car nous ne l’avons pas assez dénoncée ! Où étaient les corrupteurs des corrompus ? A l’extérieur. On a pourri l’Algérie. Si nous ne voulons pas aujourd’hui parler à la place des Algériens, il faudrait rompre le silence sur ce que nous avons laissé en Algérie et ne pas cesser d’être en contact avec eux pour partager leur vécu.
Comment agir ?
Le meilleur service que nous pouvons rendre aux Algériens est d’affirmer bien haut que ne faire que 21 secondes aux informations télé sur la mort de Matoub Lunès est une véritable provocation pour le peuple algérien ! Il faut laisser les gens parler. Ce serait aussi de condamner l’arabisation à outrance. En tant que Breton, je revois la même bêtise commise par l’Etat français qui conduisait finalement ma mère à engueuler ma grand-mère quand elle me parlait en breton ! Mais nous ne pouvons dire cela que si nous sommes crédibles, c’est-à-dire si nous parlons nous aussi de ce qui nous engage dans notre vécu, comme de dénoncer plus efficacement les tortures faites par Le Pen quand il était en Algérie, ou les rapports entre la droite et le Front national !
Ton film Avoir 20 ans dans les Aurès avait été pour moi une révélation en 1972, sans doute parce qu’il était centré sur l’humain plutôt que d’être didactique…
Il s’agit davantage de mettre les gens en situation que de réaliser. Je crois qu’il faut vivre avant de raconter, quitte à ne pas raconter son propre vécu mais en comprenant à partir de son vécu ce qu’on a vu les autres vivre. C’était la genèse : un film d’intervention sociale. En 130 ans, on avait pas formé un Algérien à s’exprimer par le cinéma : il fallait être à leurs côtés pour refléter leur vécu. Ce n’est pas simple : on reste ce qu’on est ! Fanon était contre le fait de me laisser tourner car il se méfiait du fait que je sois communiste.
Quels films aurais-tu aimé faire qui ne se sont pas fait ?
Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas raconté à temps, par exemple ces histoires de femmes algériennes que je suis tenu d’écrire maintenant car je ne les ai pas tournées à temps. Elles me semblent nécessaires pour la compréhension de l’Algérie. Les documents que j’ai tourné ont été les seuls au maquis algérien : on y voit des femmes infirmières que l’on a amené à la frontière, officiellement pour perfectionner leur formation. Or, je sais que l’on a amené de jeunes officiers de l’ALN en leur disant :  » choisissez et mariez-vous « , sans demander leur avis aux femmes. C’était une conception de la femme qui était au sein même des forces révolutionnaires algériennes, une certaine façon de contenir la femme dans un rôle bien gardé. On a omis de montrer les dangers que cela comportait pour l’évolution du pays. Je n’ai pas su transmettre ces histoires que les femmes venaient me raconter sans doute parce que j’étais différent en étant étranger. On m’a dit que ce n’était pas le moment et je l’ai cru aussi – et je me rends compte maintenant qu’il aurait fallu et que c’est trop tard.
On n’a de toute façon jamais vu grand chose en provenance d’Algérie en France.
Les voix algériennes ont été systématiquement brimées. Et on a maintenant trop laissé tomber tout ce qui était réseau parallèle de diffusion qui nous manquent terriblement quand on voit la frilosité des télévisions. On ne pourrait plus faire Avoir 20 ans dans les Aurès…

Lire également le récit autobiographique de René Vautier : [Vautier l’indomptable]///Article N° : 501

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