Qu’Allah bénisse la France

D'Abd Al Malik

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D’Abd Al Malik, on connaît surtout le dernier album, « Gibraltar », couronné par le prix Constantin 2006 et une Victoire de la musique (catégorie album de musique urbaine). On connaît moins son livre autobiographique, « Qu’Allah bénisse la France », paru en 2004 chez Albin Michel (1), récemment publié en édition de poche (2). Ce livre, passionnant, permet de découvrir le parcours à la fois spirituel et musical, qui l’a mené d’une banlieue de Strasbourg aux plus grandes salles de spectacles françaises. C’est aussi un appel à l’amour de son prochain et à la tolérance.

« J’ai vécu de l’autre côté du miroir et j’en suis revenu. Chacun a le devoir de témoigner… » peut-on lire dans le premier chapitre. C’est bien de cela qu’il s’agit, d’un témoignage sur le parcours atypique d’un fils d’immigrés, noir, pauvre, élevé par une mère seule avec six frères et sœurs, dans la cité HLM (« Haut les mains ! ») du Neuhof, en banlieue de Strasbourg. Abd al Malik, qui s’appelle encore Régis, est « sauvé » par son goût pour les études, inculqué par son père. Grâce à son institutrice, Mlle Schaeffer, il entre au collège privé catholique de Sainte-Anne et accède à un autre univers que celui de la cité, où les gamins volent, se droguent, et commettent des agressions en bande dès leur plus jeune âge.
Le jeune Régis se démarque des adolescents qu’il côtoie. En effet, pour lui toute forme de dépendance est un signe de faiblesse. Même s’il commet de nombreuses infractions, il ne touche ni à la drogue ni à l’alcool, ce qui lui permettra de survivre, contrairement à la plupart de ses proches, comme l’atteste la liste non exhaustive qui clôt le premier chapitre :
« Abd El Slam / overdose
Alain / accident de voiture
Christophe / rupture d’anévrisme
David / assassiné
Djamel / assassiné
etc. »
Adolescent, les héros de Régis se nomment Alex Haley(3), Malcolm X, Aimé Césaire… « Je lisais partout : chez moi, dans les transports en commun, pendant les pauses au lycée, et cette passion de la lecture ne m’a jamais quitté. ». Puis c’est la découverte du rap, par le biais de son frère, Bilal, un des fondateurs du groupe « New African Poets » (NAP) dont il devient très vite membre. À l’époque, pour ces jeunes, le rap est une catharsis autant que le moyen de transmettre un message. Plutôt que de se complaire dans l’évocation du spleen et des paradis artificiels, ils décident de parler de foi et d’éducation, de faire preuve d’intelligence et de mesure, tout en décrivant l’univers de la rue.
« Les milliers d’desperados qui habitent les blocs comme moi savent,
La vie qu’on avait sombre, grise, quotidien pourri
HLM, immigrés, pauvres ont rêvé tous d’une autre vie
On a pris le rap comme ça, pour s’évader d’la prison d’l’existence… »(4)
Parallèlement à la découverte du rap, Régis se rapproche de la religion musulmane. Il embrasse l’Islam et devient « Abd al Malik ». Fini pour lui les vols, le deal. Il abandonne ses réflexes de délinquant. Sa vie est désormais rythmée par les cinq prières quotidiennes, il ne mange plus ni porc ni viande non sacrifiée selon le rite halal. Il devient quelqu’un d’autre, « au prix d’une rupture définitive avec une partie de [lui]-même. ». Dès lors, il n’a de cesse de consolider sa foi, passant le plus clair de son temps à lire et à s’instruire. Cette assiduité et cette ferveur ne sont pas étrangères à sa réussite scolaire. Son bac littéraire en poche (fort de son dix-sept sur vingt en philosophie – la meilleure note du Bas-Rhin !-), il s’inscrit à la faculté de lettres classiques de l’université de sciences humaines de Strasbourg. « Pour ma mère, c’était comme si j’avais marché sur la Lune ».
Champion du prosélytisme, Abd al Malik devient une figure de l’islam dans sa cité. Pas facile toutefois de concilier religion et musique, cette dernière étant « haram » (illicite) selon certaines autorités. Cela lui pose un cruel dilemme. Il mène une double vie de prêcheur et de rappeur – tout en poursuivant ses études. En 1996, « La racaille sort un disque », premier opus du groupe NAP connaît un franc succès à travers toute la France. C’est l’un des rares groupes de province à percer à l’échelle nationale après les légendaires IAM. Plus tard, lors de l’élaboration du deuxième album de NAP, « La fin du monde », Abd al Malik prend une décision capitale : « ne plus jamais se contenter d’une religiosité superficielle et ne plus jamais dissocier artificiellement [son]activité artistique de [son]cheminement spirituel ».
Il s’engage alors dans la voie du soufisme, la mystique de l’islam et découvre Amadou Hampaté Bâ(5), Abd el-Kader (6) et Faouzi Skali (7). Il va jusqu’à Fès, au Maroc, pour rencontrer ce dernier, qui, le conduira plus tard à son guide actuel, Sidi Hamza al-Qadiri al-Butchichi, auquel il rend hommage à la fin de son livre, pour l' »avoir rendu vivant dans cette vie ».
Et si aujourd’hui Abd al Malik connaît un tel succès avec son album solo « Gibraltar », c’est sans doute qu’il a mis en pratique ce qu’il écrivait dans son livre en 2004 : « Dans la musique comme dans la vie, ne pas chercher à retranscrire la mentalité ou l’actualité du moment, traduire simplement le langage du cœur ».

(1) Editions Albin Michel, mars 2004, ISBN-10: 2226151192
(2) Editions Albin Michel, collection Spiritualité, parution 28 février 2007, ISBN 10 : 2226173129
(3). Auteur du best-seller « Racines », qui raconte le destin tragique de Kounta Kinté et des Noirs d’Amérique.
(4). NAP : « Au sommet de Paris », extrait de l’album La fin du monde (High-Skillz / RCA / BMG, 1999).
(5). Auteur, entre autres, d' »Amkoullel, l’enfant peul » et de « Oui mon commandant ».
(6). Héros de la résistance algérienne contre les armées françaises, grand soufi et poète mystique auteur de nombreux ouvrages fondamentaux.
(7). Anthropologue, auteur de l’ouvrage « Traces de lumière ».
Qu’Allah bénisse la France, d’Abd Al Malik, Albin Michel///Article N° : 5875

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