La production culturelle au maghreb

L'exemple algérien

Les durs lendemains de "démonopolisation"
Print Friendly, PDF & Email

Le produit culturel n’a jamais été la priorité des pouvoirs politiques au Maghreb ni celui des entrepreneurs privés. Si l’État s’est toujours méfié, pour des raisons évidentes, de l’expression culturelle, le capitaliste, lui, ne voyait aucun avantage à se lancer dans une activité dangereuse sur le plan politique, dans des pays longtemps verrouillés et contrôlés, et presque toujours inintéressante sur le plan de la rentabilité économique et financière pure. Le cas algérien.

Après les deux petites années d’ébullition qui ont suivi l’indépendance (1962-1964) au cours desquelles la production culturelle fut diverse et pertinente, en dépit de l’absence de moyens, une véritable chape de silence enveloppa le pays dont le régime opta pour une socialisation à outrance des moyens de production et pour une uniformisation de la pensée. Plus tard, lorsque l’État se fut consolidé, lorsque les caisses se remplirent, les politiques continuèrent à serrer les cordons de la censure et à se méfier des initiatives privées dans ce domaine. Pour ne pas provoquer l’asphyxie totale, on créa à grand renforts de capitaux publics des sociétés chargées à la fois de gérer la production et de faire les choix en matière d’importation. Livre, film, presse, artisanat passèrent sous les fourches caudines de bureaucrates imprégnés seulement d’un esprit de conservation de leurs postes et de leurs privilèges. En Algérie, l’État importa régulièrement et massivement le livre par exemple, et le subventionna généreusement pour le mettre à la portée des bourses moyennes. Mais les ouvrages importés allaient tous dans le même sens sur le plan idéologique. Il n’ y avait pas de place pour les ouvrages écrits et publiés par des Algériens à l’étranger.
Du coup, la production nationale, déjà atrophiée, se réduisit à sa plus simple expression, les éditeurs d’État (SNED puis l’ENAL) se contentant de quelques dizaines de titres peu pertinents par an. Le cinéma, produit lourd s’il en est, profita beaucoup mieux de la situation de monopole. Pendant une vingtaine d’années, l’Algérie produisit une dizaine de films bon an mal an avec une thématique qui épousa les contours de ce qu’on appelait alors les « constantes de la révolution ». Toutefois, grâce au talent et à la subtilité de quelques metteurs en scène, des films remarquables et remarqués à l’échelle internationale furent produits par la grosse machine locale qu’était l’ONCIC. Nous pensons à Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina, à Omar Gatlato, de Merzak Allouache ou au Charbonnier de Mohamed Bouamari. Le mérite de ces années-là est d’avoir donné l’occasion à nombre de techniciens et de créateurs de disposer des moyens matériels et financiers leur ayant permis de se perfectionner professionnellement.
Le désengagement de l’État
Plus populaire, parce véhiculé par l’arabe dialectal, moins exigeant sur le plan matériel, le théâtre résista longtemps aux coups de boutoir de la censure. De Kateb Yacine (années 60 et 70) à Alloula (année 80 et 90), cette discipline donna lieu à de la belle ouvrage et a enrichi considérablement son répertoire. Quant à l’artisanat, il fut la grande victime des années de plomb et de l’industrialisation à outrance. Des pans entiers du savoir local furent abandonnés. Les vieux artisans, en bout de route, virent leurs enfants préférer le salariat et le fonctionnariat et en même temps leur métier partir à vau-l’eau. Contrairement aux voisins tunisiens et marocains qui ont su protéger ce capital historique.
Le grand tournant eut lieu au début des années 90, avec les premiers acquis démocratiques et l’option pour le libéralisme économique. Un tournant pas toujours bénéfique. En effet, alors que l’État s’était clairement désengagé de la production culturelle en vidant les tiroirs des subventions et en limitant au maximum l’importation de biens culturels, les partenaires privés ne se sont pas précipités pour assurer la relève et occuper le terrain libéré. Et pour cause, la production et la diffusion de biens culturels sont loin d’être aussi juteuses comparées à celles des autres produits de consommation. Dans une société en proie à une incroyable paupérisation, où les classes moyennes ont été laminées financièrement en quelques années par la crise économique et les dévaluations successives, le produit culturel intéressait encore moins de monde. Il n’y avait plus de prétendants à la production ni un grand marché pour absorber une éventuelle grande production. A l’ère de la pensée unique, succéda en quelque sorte l’ère du néant culturel. Et pour boucler la boucle, le terrorisme d’une rare violence qui a sévi durant sept ans a contraint à l’exil une grande partie de l’élite créatrice (écrivains, peintres cinéastes, musiciens..). Seul le secteur de l’information profita largement des grands bouleversements des dix dernières années en donnant naissance à une flopée de quotidiens et périodiques d’une rare vitalité équivalente en Afrique et dans le monde arabe. En conclusion, si l’État s’est retiré avec grand fracas de l’investissement financier, il a continué, jusqu’à ces derniers mois, à vouloir maintenir la culture sous le carcan de textes obsolètes pour décourager toutes les bonnes intentions privées. Un combat d’arrière-garde voué à l’échec. Car les verrous vont, dans une perspective historique très raisonnable, finir par sauter définitivement et permettre à la production culturelle locale de s’épanouir pleinement. A condition bien sûr que la crise économique s’estompe et que le moral de la population retrouve quelques couleurs.

///Article N° : 623

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire