Une lutte culturelle

Entretien d'Olivier Barlet avec Gloria Rolando Casamayor

Au festival Racines noires, juillet 1998
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Le cinéma cubain préfère aborder la question des préjugés raciaux envers les Noirs par des films historiques. Sara Gomez (1943-1974), première réalisatrice cubaine, était Noire. Elle a osé aborder ce thème de façon contemporaine en filmant l’histoire d’amour d’une institutrice blanche avec un jeune mulâtre issu d’un bidonville havanais dans De cierta manera (D’une certaine manière, 1973-1977, le film ayant été terminé par Tomas Gutierrez Alea et Julio Garcia Espinosa après la mort de Sara Gomez). Née à La Havane en 1953, Gloria Rolando est parfois considérée comme sa fille spirituelle. Elle prépare en tout cas un documentaire sur son aînée, mais aussi un film sur les cultes yoruba, fidèle à son engagement documentariste envers les cultures noires. (pour plus de détails sur ses films : www.afrocubaweb.com)

Vos trois documentaires Oggun : éternelle présence, Les Enfants de Baragua et Les Yeux de l’arc-en-ciel explorent la culture noire à Cuba. Peut-on les voir dans l’île ?
Ils ont une histoire très différente mais ont été faits avec la même équipe technique, regroupée sous le nom Images de Caraïbes. En dehors de la télévision et de la Maison de l’Afrique ou de certaines universités, il n’y a pas vraiment de structure de diffusion. Ces films ont révélé une autre vision de thèmes connus comme Oggun ou bien la présence à Cuba de communautés issues de Jamaïque, Trinidad etc, comme Baragua, ce qui était parfaitement méconnu.
Un cinéma spécifiquement noir peut-il émerger dans le cinéma cubain ?
Officiellement, on parle de cinéma cubain et on ne fait aucune différence. La réalité est pourtant une régression de la présence des Noirs au cinéma et à la télévision, ce qui fait actuellement l’objet d’un débat important. Mais l’absence criante de moyens de production touche aussi bien les Blancs que les Noirs. L’histoire cubaine est très complexe et les racines sont multiples. Il me paraît important de les différencier pour prendre en compte les apports de chacun. Ce n’est pas seulement une lutte politique mais aussi culturelle, pour qu’une conscience puisse émerger au sein de la population. C’est ce travail de documentation d’une culture en voie de disparition que je voudrais réaliser mais nous manquons totalement de moyens. La vidéo peut être une possibilité si nous arrivons à acheter une caméra numérique.
Pourquoi vous être intéressée dans Les Yeux de l’arc-en-ciel à Assata Shakur, cette ancienne membre des Panthères Noires qui vit à La Havane ?
C’était l’occasion de m’exprimer sur le combat d’une femme et la situation des Afro-américaines. J’y ai donc inclus des images des années 60 sur les différentes figures du mouvement féministe noir, ce qui nous ramène à notre propre passé.
Vos films développent une grande subjectivité dans l’image. Comment sont-ils reçus ?
Les Yeux de l’arc-en-ciel n’a pu être traduit en espagnol faute d’argent et n’est donc que très partiellement diffusé à Cuba. Je préfère faire des films sur la famille, la tradition, la musique et les sentiments que des oeuvres froides sur des faits politiques. J’aime ouvrir la structure et jouer avec l’imaginaire, ce qui demande de rentrer dans le sujet d’une autre façon. Je crois que c’est ce qui leur a permis d’être bien reçus et compris quand je les ai montré aux Etats-Unis. J’entremêle dans l’image les gens, la nature et la lutte universelle pour un monde meilleur.
Cela passe par une certaine mythologie des images…
Oui, c’est une tradition africaine, proche de la façon de conter des histoires sous l’arbre à palabres. Le lien avec la nature est essentiel : comment aborder des sujets sociaux sans poser la question de l’environnement ?
Danse et musique jouent aussi un grand rôle…
Oui, j’ai par exemple utilisé un groupe de danseurs en habits traditionnels africains de Cuba et j’ai pris du blues pour signifier le lien entre les cultures afro-cubaines et afro-américaines.
Etes-vous indépendante ?
Je fais partie de l’Institut du Cinéma cubain qui me verse un petit salaire de survie. Mais notre lutte n’est pas seulement de survivre mais de continuer à être créatifs.

///Article N° : 773

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