Expériences de renaissance du cinéma en Mauritanie

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Outre une programmation dont la diversité égale la qualité, la 13ème édition du festival de films documentaires Filmer à tout prix de Bruxelles (17-30 novembre 2008) comportait trois séances consacrées à l’Afrique. Rien d’étonnant puisque l’un de ses directeurs artistiques, Pierre-Yves Vandeweerd, coordonne un projet de mise en valeur du cinéma documentaire au Sénégal : Cinéma(s) d’Afrique(s). Nous en avons déjà évoqué dans notre compte-rendu du festival de Lussas les trois dernières productions (cf. article n°8134 sur ce site), qui ont fait l’objet d’une soirée aux débats animés. Retenons ici la séance consacrée à trois films tournés, réalisés et produits par les jeunes réalisateurs de la Maison des cinéastes en Mauritanie.

Comme l’indique Pierre-Yves Vandeweerd qui connaît bien ce pays pour y avoir tourné la plupart de ses films, la Maison des cinéastes a, en six années, permis la renaissance du cinéma mauritanien : « Après plus de 20 ans de dictature politique et culturelle, après presque autant d’années sans salle de cinéma, sans cinéaste à l’exception de ceux partis en exil ou de la diaspora, cette structure a ramené la pratique cinématographique et le cinéma (comme moyen de regarder autrement) dans la sphère publique. »
Abderrahmane Ahmed Salem, qui anime la Maison des cinéastes à Nouakchott, était là pour présenter son travail et les films. Son but ? « Amener des jeunes à s’emparer de l’outil caméra pour interroger la société ». Un festival, la Semaine nationale du film, SENAF, regroupe chaque soir dans différents quartiers de Nouakchott plus de mille personnes autour d’une projection et d’un débat. La première édition mettait en valeur les films d’Abderrahmane Sissako, la seconde ceux de Pierre-Yves Vandeweerd et la troisième des films parlant du voyage.
Dans les années 60, le cinéma mauritanien était celui de réalisateurs émigrés comme Med Hondo ou Sydney Sokhona qui n’ont jamais pu retourner au pays. Il y avait 11 salles de cinéma pour 1 million d’habitants à l’indépendance alors qu’il n’en reste plus aucune pour 3,4 millions d’habitants. « La culture nomade ne pousse pas à investir dans la création artistique », indiquait Abderrahmane Ahmed Salem. L’Etat s’est désengagé du cinéma, alors qu’une société s’occupait des actualités cinématographiques, malgré un dictateur qui par le biais de la télévision nationale imposait sa propre image. Ce n’est que récemment qu’une activité cinématographique a revu le jour, notamment avec Abderrahmane Sissako qui a tourné Heremakono – En attendant le bonheur à Nouadibou, d’ailleurs en collaboration avec la Maison des cinéastes.
Les habitants comblent leur besoin d’images avec des feuilletons brésiliens. La Maison des cinéastes cherche ainsi à confronter les Mauritaniens à leur réalité tout en les ouvrant sur le monde. Elle travaille à l’unité nationale entre les communautés, et à rapprocher ainsi les hommes et les cultures.
Son programme ABCinéma permet à de nombreux jeunes de faire des films de 3 à 5 minutes. En cinq jours, ils écrivent un scénario, le tournent et le montent avant d’en effectuer une lecture critique. Le programme Cinéparc projette avec ou sans écran des films en plein air, dans les espaces publics des différentes villes du pays et des quartiers de Nouakchott. Le programme Les Ecrans dromadaires est une caravane qui amène les images là où les gens n’en ont jamais vu. Les animateurs créent une complicité en filmant le matin et en projetant le soir ces images de proximité. La projection à Oualata de films qui y avaient été tournés en 1951 a été un grand moment d’émotion.
La Maison des cinéastes se fait aussi Centre de mémoire audiovisuelle de Mauritanie en conservant des films de diverses provenances comme des cérémonies de mariage, qui permettent d’en tracer les évolutions. Enfin, le programme Parlez-vous la bonne image ? a produit 7 films pour la 2ème édition de la SENAF et 14 pour la 3ème.
Sagné, le petit monde (26′, 2007) est tourné par un Arabe mauritanien dans un village habité par des Noirs. Mohamed Ould Idoumou accompagne un ami dans son retour à son village, situé au bord du fleuve Sénégal, un endroit trop éloigné et à l’écart pour que les Mauritaniens le connaissent : « visiter mon pays passait par un autre ». Et pourtant, Sagné grouille de vie et est un véritable carrefour commercial. Le film s’en fait le constat photographique. Une voix-off omniprésente légende les images, à la découverte du quotidien de cette ville frontière et de la mémoire de ses habitants. Un vieux indique que le troc a été remplacé par l’argent ; un ancien tirailleur témoigne (« La France est dangereuse ! »). Les anciens soutiennent l’émigration, devenue la principale source de revenus. Mais les enfants ne pensent de toute façon qu’à partir, n’étant attentifs à l’école qu’aux cours de français qui leur permettent d’apprendre quelques mots. A la boutique du village s’étalent ces bribes de modernité que les émigrés peuvent espérer obtenir… Le film, qui a du rythme et frappe par son ancrage, manque de la structure qui lui permettrait de mettre tout cela en perspective, alors même que le rapport au temps et à l’ailleurs traversent son propos de bout en bout.
Mouchatt d’Ahmedou Ould Mahfoudh (13′, 2007) passe par la fiction pour retravailler les peurs qui marquent l’inconscient. Une mère voudrait empêcher son fils d’aller à la plage, où l’on dit que se trouvent les Mouchatt, qui enlèvent les enfants. Sur la plage, il apprend que l’océan pourrait envahir la ville. Son frère fait alors des recherches sur internet et un professeur évoque l’effet de serre : le film témoigne de l’ambivalence du rapport des Mauritaniens à la mer, à la fois source de revenus et menace, une bonne partie de la ville de Nouakchott, construite sur une sebkha, pouvant être engloutie avec la montée du niveau de l’océan et l’érosion de la dune littorale.
Coumène de Demba Oumar Kane (6′, 2007) travaille lui aussi l’inconscient populaire par la fiction. Des villageois occupés en brousse à ramasser des feuilles de palmiers se mettent à courir après un enfant qui se dérobe et leur échappe. Serait-ce le diable qui vient les hanter ? Ou bien cet autre qui fascine mais reste inatteignable ? La chasse à l’homme se fait onirique…
Les trois films sont artisanaux et fragiles. Leur valeur est ailleurs : dans ce témoignage de l’imaginaire d’un peuple qui se saisit de l’image pour le travailler. Ils sont ainsi proches du cinéma populaire qui fait appel à la magie et aux légendes pour traiter les peurs. Ces cinéastes font film sur film à la faveur du SENAF : ils ne lâchent pas, tant c’est important pour eux.
Dans le flou actuel de sa situation politique, la Mauritanie aurait bien besoin de cette affirmation des valeurs et de cette recherche de perspectives qui définissent le travail des artistes. Ces bouts de cinéma initiés et soutenus par la Maison des Cinéastes participent du changement que se cherche ce pays qui bouillonne !

///Article N° : 8220

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