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De Mohamed Zran

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Une petite ville du littoral du Sud-Est tunisien, Zarzis. Au centre, sur une place, une épicerie. La caméra se loge dedans et regarde au dehors, à contre-jour. Sur la place, un peintre assis devant son tableau. On entre, on achète, on discute, on sort. Ce qui est fulgurant dans le film de Mohamed Zran, c’est que quelques personnages simples du fond du Sud tunisien nous concernent au premier chef, et nous parlent de l’état de notre monde.
C’est la magie documentaire et cela ne marche que lorsqu’il y a écriture de cinéma. Cela passe par un respect profond des êtres et une écoute qui prend le temps de voir. Attentif au réel, Zran ne refuse aucunement la mise en scène. Il fait parler des personnages dans un taxi jaune décapotable, lunettes de soleil sur le nez. Il joue des perspectives pour souligner un point de vue. Il médite sans commentaire mais en musique, laissant résonner les personnages qu’il nous rend familiers. Peu à peu, il tisse une toile alliant diversité et dialogue, légèreté et gravité.
Zarzis ne se limite pas à son espace : ceux qui sont partis reviennent s’y marier, des étrangers s’y établissent, des natifs y retournent, riches de leur vécu du monde. Comme partout sur la planète, l’ici et l’ailleurs se mêlent inextricablement. L’épicier juif Simon, lui, n’est jamais parti. Pas plus que ses aïeux, venus il y a quatre générations. Une cliente lui demande pourtant s’il vient d’Israël…Le film lui tourne autour car il incarne à la fois une permanence et une tension, celle de ses origines dans un monde qui se crispe tout en ne pensant qu’au départ. Il détient la mémoire des plantes traditionnelles : on le consulte pour se faire soigner. Il ne quitte guère son échoppe : c’est tout un peuple qui vient à lui. Il fait partie de ceux qui savent encore écouter, qui n’ont pas renoncé à la générosité. Son regard perçant porte bien plus loin que la place de son perron.
Et Zran sait dénicher ceux qui savent encore rêver. Ils ne sont pas glorieux, simplement engagés comme l’instituteur ou l’artiste handicapé. Simplement occupés à survivre, comme le vendeur de bibelots aux touristes. Simplement lucides comme cet homme qui ne voit dans la ligue arabe qu’un cercle de familles au pouvoir. Ils sont simples mais humains, et partant magnifiques. « Tous les problèmes d’insécurité nous concernent », dit l’artiste handicapé. Leur conscience du monde est totale. Si bien que lorsque s’opère la rencontre des contraires, tant sociaux que culturels, c’est le monde qui emplit le film. On communique alors en dessinant sa vie sur le sable ou en cherchant l’équilibre en se tenant par la main. Et ce film bourré de sensibilité atteint une subtilité rare. Il peut alors se clore sur l’oscillation des plateaux de la balance de Simon, frêle recherche d’équilibre d’un monde qui attend le bonheur.

///Article N° : 9288

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