Le Balcon

De Jean Genet

Mise en scène : Greg Germain
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Abyme vaudou et vertige créole
Tout de rouge vêtue, le port altier, le cou gracile chargé d’or, Mme Irma que joue Marie-Noëlle Eusèbe est un cygne noir majestueux qui n’a pas peur des métamorphoses. Il se change en poule de luxe avec déshabillé de satin blanc et plumes d’autruche ou en oiseau des îles au ramage créole envoûtant. Et bientôt prise au jeu des métamorphoses qu’elle orchestre dans son établissement, voilà Madame Irma changée en icône montée sur roulettes, comme ces vierges de bois rouge et or que l’on sort pour la procession du 15 août. Enveloppée dans une peau qui porte l’emblème d’Erzulie-Freda-Dahomey, la taulière est devenue la grande prêtresse d’un rite sanctifié. Le cérémonial sexuel du bordel et ses mises en scène raffinées se sont changés en cérémonies secrètes, le salon de la maison close est devenu sanctuaire.
Le Balcon, Greg Germain a choisi d’en ouvrir les fenêtres pour confronter le spectateur à des perspectives nouvelles, quitte à le déstabiliser, quitte à le précipiter dans le paysage. Il joue avec le vertige, ouvrant sur un abîme mal connu du monde occidental : celui du vaudou. Le balcon n’est plus cet espace aérien des apparitions célestes du pouvoir et des fantasmes, il devient descente au tombeau, enfoncement.
La maison d’illusion abrite un sanctuaire de magie noire, le Houmfô du vaudou, un monde où le règne animal et le règne végétal se mêlent aux désirs de puissance d’une humanité perdue par les images, qui ne recherche que les icônes et qui perd sa vie à n’être plus que dans la représentation. Le balcon est celui d’une pitoyable parade, celle des perversités d’une humanité qui a besoin de se jouer le pouvoir, qui ne jouit plus que du jeu de l’illusion d’être Général, Juge ou Prélat.
Et Greg Germain s’amuse avec ce vide, mettant ses comédiens en danger sur le fil de la rampe. Le balcon devient aussi celui des acteurs, mais ils ont été dirigés avec une telle précision, une telle exigence, qu’en dépit des travestissements et des métamorphoses qui font du faux Général  » l’homme coq « , du faux juge  » l’homme bouc  » et du faux Evèque  » l’homme de paille « , ils ne se précipitent pas dans la caricature.  » Homme serpent « ,  » femme pouliche « , ils ne basculent jamais dans le ridicule. Un spectacle tout en équilibre et en justesse où la culbute est pour le spectateur qui trouve ici l’entrée la plus directe dans l’univers de Genet. Un spectacle  » clé  » qui a la force de l’évidence

à La Chapelle du Verbe Incarné
Décor et costumes : Erik Plaza-Cochet
Lumières : Nasser Hammadi
Paysage sonore : François Leymarie
Assistante à la mise en scène : Catherine Denoual
avec Marie-Noëlle Eusèbe (Irma), Christine Sirtaine (Carmen), Estelle Jhade (La Voleuse), Jenny Mezile (La Femme), Ludmilla Carnougue (Colombe), Alain Azerot (Le Chef de la Police), Günther Germain (L’Envoyé), François Floris (Le Général), Gilbert Laumord (L’Evêque), Mishino (Le Juge), Christian Julien (Le Bourreau, Arthur et Roger).
Production : Axe Sud-Marie-Pierre Bousquet///Article N° : 959

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