Vient de paraître, chez Al Manar, Poésie de Palestine, anthologie rassemblée par Tahar Bekri (1) qui donne à lire dix poètes de la Palestine d’aujourd’hui.
En 2010, après un voyage en Palestine, Tahar Bekri avait publié Salam, Ghaza (2). Et, parce qu’il y a des voyages porteurs de beauté et de liberté, la présente anthologie poursuit le dialogue entamé avec la Palestine et ses poètes qui vivent en leur chair le pays qui les habite. C’est donc un poète qui, autour d’une « terre confisquée » (p. 10), part à la rencontre d’autres poètes. Entre le poète tunisien et les poètes palestiniens, il y a la proximité d’une langue (3), une culture partagée mais des histoires différentes. Ainsi, l’anthologie Poésie de Palestine me paraît être un lieu de résonances où se tissent des interférences, où se construisent aussi des passerelles pour mieux amplifier des échos en partage et donner à entendre la complexité d’un monde dont tout lecteur – toute lectrice – a entendu parler mais qui, en réalité, échappe au grand nombre. De la Palestine chacun croit connaître le nom ou croit savoir quelques bribes d’histoire, mais qui donc reste à l’écoute de la voix des poètes qui chantent la Palestine, la vie quotidienne de celles et ceux qui y vivent, de celles et ceux qui ont traversé les frontières, transportant par-devers eux leur part de Palestine qui les habite à jamais ? (4) Vivre avec la conscience de l’existence du mur, question à la fois poétique et philosophique est au cur de cette anthologie, cette moisson de fleurs dans laquelle le choix des fleurs et des mots est tout sauf anodin, puisqu’il est toujours « volontairement subjectif »(p. 9).
Pourtant, dans l’anthologie sur laquelle plane l’ombre tutélaire du grand poète Mahmoud Darwich (1941-2008) (5), la singularité de chaque voix est remarquable comme celle de Tarek Al Karmy disant les manques et les désirs :
L’enfant Oussama s’assoit le soir dans le camp
Avec ses cinq frères
En attendant les dessins animés
Mais le poste de télévision apporte
Le journal d’informations de vingt heures
La guerre se déroule à la télévision
Des vues de raids secouent le poste
Jusqu’à le traverser de l’intérieur
Les enfants sortent en manifestant dans la pièce sous le ciel
Les enfants ne veulent rien d’autre
Qu’un poste de télévision sans journal d’informations (p. 14)
Ou celle de Najwan Darwish parlant de sa « Carte d’identité » :
Partout où je suis allé ils m’ont pris pour un Irakien et ils avaient raison. Longtemps j’ai cru que j’étais un Égyptien qui vécut et mourut souvent au bord du Nil avec ses ancêtres Africains. (p. 21)
Ou encore la voix de Nathalie Handal qui décrit la route du « voyageur », ou se rappelle quelque souvenir :
J’essaie de me souvenir,
mot pour mot, de ce qu’il m’a dit
de ce jour où il s’est caché du soleil,
à savoir qu’il est une certaine lumière
qui fait revenir la guerre.
Mais il était prévenu,
l’ombre parfaite n’existe pas (p. 30)
Comme le souligne Tahar Bekri dans ses propos liminaires, c’est plus d’un siècle de poésie qu’il aurait fallu revisiter car « la poésie n’a cessé d’être l’âme et la voix d’un peuple, si meurtri par l’injustice de l’Histoire. » (p. 9). Ici se racontent de mille manières la complexité et la beauté du monde : les situations particulières font partie d’une histoire collective qui se dit par bribes ou par jets. Des histoires de thé et de vie, de rires, de guerres, de voyages, d’exils, de solitude, d’empreintes digitales Ainsi se répondent les dix voix en écho qui nous mènent vers un au-delà des maux et de la violence quotidienne. Les poètes choisis, nés entre 1950 et 1980, (Tarek Al Karmy, Tamim Al Barghouthi, Basem Al Nabres, Nathalie Handal, Najwan Darwish, Fady Joudah, Zakariya Mohamed, Ibrahim Nasrallah, Deema Shehabi et Ghassan Zaqtane) donnent à voir et à entendre le rêve d’une paix souveraine avec soi et avec les autres.
1. Al Manar, éditions Alain Gorius, 2013 (sauf précisions, les poèmes sont traduits de l’arabe par Tahar Bekri).
2. Éditions Elyzad, Tunis, 2010
3. La poésie dont il s’agit ici, comme le précise Tahar Bekri, s’écrit en arabe mais aussi en d’autres langues.
4. Des traductions et des anthologies de la poésie palestinienne contemporaine existent, notamment celle d’Abdellatif Laâbi, rééditée plus d’une fois. Voir, entre autres, La poésie palestinienne contemporaine, choix de textes et traduction Abdellatif Laâbi, Le Temps des cerises, 2002.
5. La présente anthologie, Poésie de Palestine, est dédiée à sa mémoire. Les poètes présentés ici appartiennent à la génération postérieure à Mahmoud Darwich.7 juin 2013///Article N° : 11570