For some reason, les guides touristiques sur New York omettent généralement le Bronx, qui est pourtant depuis 1898 l’un des cinq boroughs new-yorkais, avec une population de 480 000 habitants, black à 46 %. Le touriste risque donc de rater un point-clé de la ville : le Bronx Museum of the Arts.
Fondé en 1971, ce musée s’est donné pour mission de mettre ses locaux et les oeuvres qu’il abrite à la disposition du quartier. Il vise encore à toucher le goût et la raison de la mégapole, contribuant de façon originale à l’élaboration du discours sur l’art visuel contemporain, et en particulier à la clôture du débat sur art d’élite / art populaire.
Ce double objectif a été brillamment atteint avec Urban Mythologies : The Bronx Represented since the 60’s, une exposition réalisée en 1999 grâce à des fonds du National Endowment for the Arts, d’AT&T, de la fondation H.W.Wilson, etc. En une spectaculaire mise en abyme, le Musée des Arts du Bronx a montré au monde la façon dont le borough réfléchit sur ses reflets, aussi bien aux miroirs officiels que dans les oeuvres d’artiste du quartier – soit un demi-siècle d’allo- ou d’auto-représentations. C’est dans un cadre historique et socio-économique précis que le BMA a replacé quatre décennies de quotidien urbain – lesquelles ont suggéré aux media toute une imagerie de putréfaction et de criminalité, largement diffusée at home and abroad. Simultanément, les conditions particulières au Bronx entre 1960 et 1999 ont inspiré aux artistes locaux ou hôtes une série inédite de questions esthétiques et une variété de formes d’expression. L’exposition documente les points de rencontre (notamment historiographiques) entre discours dominant et contre-discours.
De part et d’autre, l’adoption de la métaphore de la gangrène dévorant les lieux paraît liée à la construction du Cross-Bronx Expressway, achevée en 1963. Evictions, abandons ou destructions de structures, métabolisme accéléré du quartier ont eu un effet similaire à ce qui s’était produit à Harlem dans les années 20 : départ de familles juives, italiennes, irlandaises remplacées par des ménages africains-américains ou porto-ricains, souvent moins aisés et handicapés par la soudaine raréfaction des services municipaux. L’incendie en était d’ailleurs arrivé à emblématiser la crise au South Bronx, comme l’indique le documentaire de Bill Moyers « The Fire Next Door » réalisé par CBS en 1977. Il semble aussi y avoir consensus sur l’assainissement du quartier à la fin des années 80, avec un afflux de fonds gouvernementaux, la réhabilitation de certaines zones et l’intervention d’artistes réunis autour de la galerie Fashion Moda, de l’association des photographes En Foco, du Bronx River Restoration Art Center, du Lehman Center for the Performing Arts, etc.
En 1990 s’enclenche donc un procesus de dé-sensationnalisation, parachevé par l’attribution au Bronx du titre d’All American City pour la reconstruction accomplie par le gouvernement et les résidents en collaboration. Les représentations du Bronx rassemblées par le BMA diffèrent tant dans les données offertes que dans leur interprétation. La vision inquisitrice qui reconduit les stéréotypes sur le vécu des classes sous-privilégiées est subvertie par l’évocation, jamais exempte de tendresse ni d’humour, d’une variété de situations dans le temps et dans l’espace qui ensemble font l’âme du quartier.
Urban Mythologies est une anthologie multimédia dotée d’archives sonores et filmiques. Elle comprend des plans et projections urbanistiques qui s’étalent sur les murs comme « un rêve déféré » : y figurent les croquis d’Aldo Rossi, génial analyste de l’architecture coloniale ; le Melrose Commons Plan de 1990, etc. Elle fait une part importante à un medium qui réconcilie l’art et l’objectivité : la photographie. Sont ainsi documentées les métamorphoses de zones telles que la Charlotte Street (Camilio Jose Vergara) ; la vitalité du quotidien (Mel Rosenthal) ou les stigmates d’une guerre larvée (Carlos Ortiz). A signaler les remarquables portraits-interviews de la photographe parisienne Sophie Callé.
Une large section de l’exposition est consacrée aux « writers » (Blade, Phase 2, Rif 170 et alii) qui, utilisant les wagons du métro comme supports mobiles et ubiquiteux pour graffitis et tags, ont lancé vers 1970 leur propre style de décoration urbaine et d’auto-glorification uptown. Parmi les travaux les plus inattendus, on retiendra les moulages en plâtre de John Ahearn et de Robert Torres, réalisés sur – littéralement ! – des sujets vivants. Vertigineux et superbes sont le Bronx Floors de Gordon Matta-Clark (1972-73) dont le projet consistait à percer des orifices (Thresholes) a l’intérieur d’immeubles désaffectés, afin de révéler plusieurs étages, des plans multiples, des styles de vie, des matières. Projet « anarchitectural » (selon son expression) autour d’une esthétique qui est celle de la ruine, mais habitée, mais habitant le présent.
Urban Mythologies : the Bronx Represented Since the 60’s, John Alan Farmer, ed New York : Bronx Museum of the Arts, 1999.
« Bronx Tales », Jerry Saltz, Village Voice (10 août 1999), p. 151.///Article N° : 113