Ravalomanana Marc, de président de la rue à président du palais

De Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato

Print Friendly, PDF & Email

La force de l’émotion face à la force du désespoir ou quand une femme se propose d’être la voix de la masse inquiète et souffrante…

Ainsi pourrions-nous qualifier en quelques mots cet ouvrage de Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato, qui encore une fois et comme dans la plupart de ses œuvres, propose une vision touchante de l’histoire de son pays et de sa société. Elle relate ici les faits politiques qui ont marqué Madagascar en 2002, faits communément appelés  » la crise malgache de 2002 « . Bien qu’elle s’en défende parfois à travers ses mots, l’écrivain s’implique ici encore plus qu’ailleurs dans la mesure où elle ne cache à aucun moment ses ressentiments à l’encontre du Président malgache sortant, Didier Ratsiraka, et fonde tous ses espoirs en Marc Ravalomanana, le  » président de la rue  » devenant  » président du palais « .
Le temps de l’écriture : dire, montrer
Composé de trois opuscules pour la partie sur le  » président de la rue  » et d’un seul pour le  » président du palais « , ces différentes parties sont chacune datées pour montrer le parallèle entre les événements et les réflexions, ces dernières évoluant au gré des moments forts de la crise. Le temps de l’écriture est ainsi précisé entre le 22 février 2002 et le 23 juillet 2002. En parlant de dates, nous signalons par ailleurs la présence en fin d’ouvrage d’une chronologie fort précieuse des principaux événements de cette  » crise malgache « , débutant par l’élection présidentielle du 16 décembre 2001 et se terminant par l’élection de Rajemison Rasoamaharo en tant que Président du Sénat le 22 juillet 2002.
Le titre de l’ouvrage est clair : il laisse présager une  » description  » de la difficile montée aux pouvoirs du nouveau Président malgache élu, ainsi que de la médiatisation de cet homme qui a à sa charge à la fois une montée en force de la puissance de masse, la masse populaire, et une crise dont les revendications et les retombées ont peut-être pu surprendre.
Car il ne s’agit que de cela à priori : dire et montrer, raconter et publier, pour que nous nous rendions compte de la profondeur des sentiments, des peurs, des inquiétudes, des colères, des questionnements et peut-être du début de désillusion de cette même population qui s’est constituée en bloc derrière celui qu’elle pensait pouvoir la sortir de son quotidien difficile ; celui à travers qui elle attendait le renversement du système dont elle ne faisait que subir les conséquences depuis quelques dizaines d’années en tout cas.
Détermination, hargne et mission
A priori disons-nous car au fur et à mesure que nous avançons dans notre lecture, nous ne pouvons nous séparer d’une espèce de sentiment de malaise consécutive à la force et à la détermination, voire à la hargne que l’écrivain met dans ses attaques et dans ses condamnations à l’encontre de Didier Ratsiraka, de ses décisions (suite à ces élections présidentielles à la base entre autres de cette crise), de sa politique et de ses amis. Les mots sont durs, intransigeants et cinglants, à la mesure sans doute des peines et des traumatismes provoqués.
C.-A. Rafenomanjato veut nous toucher, de l’intérieur de la crise et des Etres, nous mettre à la place de ceux qui y étaient, et qui en sont encore marqués… Mais elle se cache derrière une écriture journalière particulière, calquée sur l’évolution des événements et des passages marquants de cette crise, pour dit-elle  » s’exprimer en sa qualité de citoyenne, de mère de famille et d’écrivain  » et  » retranscrire les commentaires et les réactions populaires « , car elle aurait une mission, celle de  » suivre les traces des prédateurs du pays et de les noter pour la mémoire collective « . Soit. Mais n’est-ce pas justement en se masquant derrière cette masse qu’elle dit le plus d’elle-même et de ses propres sentiments, de ses propres réflexions ?
Ainsi, à l’instar des écrivains africaines et de Michèle Rakotoson avant ou avec elle, elle prend dans ce livre les douleurs et les espoirs des siens à bras le corps et les couche sur le papier pour les mettre en exergue et à la face du monde, pour tenter d’y donner un sens, le sens que la réalité et le cours des choses et de la vie n’ont peut-être pas su donner avec clarté ; ou ils [la réalité et le cours de la vie]l’ont fait avec tellement de parcimonie qu’au lieu d’aider cette population à avancer et à profiter des changements et des promesses qui étaient là, au bout des doigts, ils ont au contraire participé à assombrir un avenir qui s’est tout à coup montré incertain et clos.
Face à l’incompréhension, à la colère, à l’impuissance et au désœuvrement devant la dérive prise par son pays, face à la lenteur des décisions et surtout des actions du nouveau gouvernement à agir et à dépêcher les moyens attendus par tous à la régularisation de la situation, Rafenomanjato exprime aussi ici avec ironie et amertume la stupeur et le désarroi des siens qui voient le souffle de l’espoir quelque peu retomber et les promesses peut-être déjà lointaines, mais sa vision est et demeure une vision somme toute très personnelle, dans le sens où elle rapporte d’abord ici ce qui la touche elle, ainsi que ses propres réflexions sur ce qu’elle vit et ce qui se vit autour d’elle.
Impatience de l’écriture, rapidité de la mémorisation et urgence de la situation
On pourrait mettre un bémol à tant de  » vérités  » et de descriptions à chaud, tant la distance entre l’ouvrage, son écriture, sa publication et les événements relatés paraît court. Même si l’écrivain revendique l’exactitude de ce qu’elle relate et s’efforce de ce fait de s’appuyer sur des preuves et de donner des références, des sources sûres, le recul est-il néanmoins suffisant pour apprécier pleinement et sans peurs, et avec objectivité de surcroît, l’ampleur de cette crise-ci, d’autant plus que certaines blessures ont laissé des marques très profondes dans le cœur de beaucoup de Malgaches ? Il serait incorrect de dire que cette publication est précipitée ; mais impatiente elle l’est, tout autant que l’écriture à dire et à raconter les faits, tout autant que la population désappointée et désenchantée d’avoir vu ses espoirs déçus et trahis. Or, c’est là au contraire que Rafenomanjato revendique l’originalité de son ouvrage : ne pas oublier et ne pas taire ces souffrances, la  » rapidité  » de la publication aidant à cela, aidant à ne pas plonger dans l’oubli et dans l’insignifiance ces faits parfois sans nom, car la manière dont on gère le passé, qu’il soit proche ou lointain, aide à une construction harmonieuse de l’avenir. C’est d’autant plus important quand ce  » passé  » fait mal et a touché les Etres, leur personne et leur identité. C’est comme si l’urgence de l’écriture a été dictée ici par l’urgence de la situation : à événement tragique une réponse, un  » pansement  » rapide, pour évacuer, pour se soulager, pour pouvoir passer à autre chose et construire, véritablement ; appeler, permettre et surtout provoquer une réaction, la réaction, car il en faut une, la situation l’exige, aussi…
Rafenomanjato ne se substitue pourtant en aucun cas et à aucun moment dans son livre à toute instance ou à une quelconque autorité pour dire tout cela, et c’est aussi ce qui fait la force de ce qu’elle donne à lire : elle veut proposer une vision non pas anodine mais suffisamment  » dépersonnalisée  » et  » désidentifiée  » pour que chaque Malgache et chacun de ceux qui se sentent ou se sont sentis concernés par cette crise malgache de 2002 puisse s’y reconnaître ou y réfléchir, comme à tête reposée dans la solitude de sa lecture et de son espace de vie… Ainsi, même si les souvenirs font encore mal et les blessures vivaces, il faut y penser, y réfléchir ; les assumer, sans détours…
Les revendications sont là, tout le long, les critiques ouvertes aussi. A nous de les interpréter ou de les comprendre, de leur trouver un sens. Mais quoi qu’on dise, et quels que soient les reproches que l’on peut faire à cet ouvrage, il faut néanmoins reconnaître que Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato a eu le mérite ici de dire ce que beaucoup pensent peut-être tout bas, de rendre d’une manière claire et simple les attentes, les sentiments et les espoirs déçus de toute une population malgache pendant cette période difficile de son pays. Elle s’est mise à sa place, ou avec elle et surtout devant elle, pour crier au monde sa fatigue et sa lassitude face à une situation qui l’a dépassée quelque peu tant elle aspire à un avenir meilleur, même si ce dernier semble ne pas encore être à l’ordre du jour et des événements…

Ravalomanana Marc, de président de la rue à président du palais, de Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato, Azalées Editions, 2003, 212 pages///Article N° : 2941

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire