Komona a 14 ans quand, enceinte, elle raconte son terrible destin à l’enfant qui va naître. Cela commence dans un village au bord du fleuve. Elle a 12 ans, lorsque les « rebelles du Grand Tigre » l’ont forcée à tuer ses parents avant de faire d’elle une enfant-soldat. Obsédée par les fantômes, elle sera la sorcière du grand chef
Kim Nguyen filme près des corps, toujours en caméra mouvante. Son montage est rapide, privilégiant la fragmentation de l’action. Le spectateur est ainsi emporté dans un flot qui, des fantômes au village des albinos, va systématiquement mêler l’étrange au réel : l’Afrique de Rebelle est imaginée, forcément régie par la magie autant que par la cruauté sauvage.
On n’évoquera pas la cause des conflits, les intérêts en jeu (si ce n’est un obscur trafic de « pierres noires »). Le récit développe par contre tous les poncifs : une valeureuse petite enfant maltraitée qui sait se rebeller, une relation amoureuse avec un albinos protecteur qui se montrera aussi naïf que ridicule dans sa recherche d’un coq blanc pour pouvoir la marier, le poids inexorable du destin mais finalement le retour à la communauté humaine lorsqu’une grosse mama prend en charge son bébé dans un camion où le chauffeur fait voyager tout le monde gratis !
Rebelle est affligeant : ce film, qui accumule les sélections dans de grands festivals et y ramasse des prix, renforce tous les clichés en cours sur une Afrique sauvage et cruelle qui ne peut juguler ses démons. Il manipule le spectateur en permanence par un filmage sans recul jouant sur la fascination de l’étrange. Cette Afrique est ainsi définitivement étrangère, mais son opacité est malsaine, plutôt que la juste revendication d’une différence culturelle.
Les fantômes de Komona ou la sève magique des arbres que lui fait prendre son ami albinos que l’on surnomme « magicien » n’ont rien à voir avec les croyances et rituels qui structurent, dans une négociation toujours dynamique avec la modernité, la vision du monde des populations africaines. Plutôt que d’en faire un spectacle évoquant la magie noire comme dans Rebelle, l’enjeu du cinéma serait d’évoquer leur pertinence pour les gens concernés, sans forcément devoir les connaître et les comprendre, tout peuple ayant droit à son opacité sans que cela remette en cause sa présence au monde et son apport à la diversité.
Au lieu de cela, le cauchemar que l’enfant-soldat Komona raconte en voix off à son enfant participe de ce qui semble vouloir devenir éternel à force d’enfoncer le clou : l’enfermement de l’Afrique dans des clichés aussi réducteurs que méprisants.
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