Rencontres « Maintenant l’Afrique ! « 

Les stratégies de partenariat du festival international d'Harare

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Novateur et pluridisciplinaire, le Festival international des Arts d’Harare (Hifa) est devenu un rendez-vous majeur en Afrique australe. Son fondateur et directeur artistique, Manuel Bagorro, revient sur ses stratégies de partenariat avec les entreprises locales comme avec CulturesFrance. Ce texte reprend son intervention lors de la troisième table ronde des Rencontres  » Maintenant l’Afrique ! « 

J’ai fondé le Festival international des arts d’Harare (Hifa) en 1999. C’est devenu un festival de premier plan en Afrique et dans le monde, un lieu privilégié pour le meilleur de la scène artistique zimbabwéenne, régionale et panafricaine. Mais le Hifa présente également un éventail de spectacles et d’expositions venus d’autres continents, afin de créer un événement international pluridisciplinaire (musique, théâtre, danse, arts plastiques) réellement dynamique, positif et spectaculaire.
Plus de 180 artistes venus de 25 pays ont participé à l’édition 2006, aux côtés de plus de 400 artistes zimbabwéens. Notre festival a toujours dégagé une marge financière. Cela nous permet d’employer tout au long de l’année des équipes qui assurent les nombreuses tâches liées à l’administration et la programmation de la manifestation. Le festival se situe désormais à la pointe de la présentation prestigieuse et multidisciplinaire de la création artistique en Afrique. Je suis convaincu qu’il incarne à ce titre tous les aspects les plus positifs du concept  » Maintenant l’Afrique ! « 
Zimbabwéen et fier de l’être, j’ai lancé cette manifestation pour tenter de répondre à la fois à un certain nombre de problèmes et de besoins particuliers que je ressentais en tant qu’artiste travaillant au Zimbabwe mais aussi aux préoccupations d’autres membres de la communauté artistique de notre pays. Parmi celles-ci, outre les problèmes liés au manque d’infrastructures et de développement artistiques, s’exprimait un sentiment d’exclusion vis-à-vis des autres pays d’Afrique et du monde.
Nos objectifs étaient donc de :
– créer une structure durable permettant de contribuer au développement à long terme de la création et des filières artistiques existantes au Zimbabwe ;
– améliorer la sensibilisation et les opportunités de développement et d’emploi artistiques pour les jeunes créateurs zimbabwéens issus de différents milieux socio-économiques ;
– faciliter le développement et les échanges artistiques par le biais d’ateliers et de formations professionnelles ;
– développer la participation de publics locaux à la célébration de la diversité culturelle nationale.
 » Séduire une entreprise, ça ne s’improvise pas ! « 
Lors de l’atelier Musique, qui a précédé les Rencontres  » Maintenant l’Afrique ! « , a été évoqué le rôle important des festivals dans le développement des marchés et le renforcement des capacités des communautés artistiques. J’ai toujours été convaincu de cela. En effet, c’est grâce aux festivals internationaux que les scènes africaines s’intègrent désormais de façon crédible dans les tournées internationales, en ouvrant aux artistes africains des réseaux de contacts et des perspectives d’échanges. Les festivals jouent également un rôle majeur en stimulant la vitalité du spectacle vivant dans toute l’Afrique. Ils sont également une occasion pour les professionnels et les journalistes étrangers de découvrir un large éventail de pratiques artistiques sur un seul et même lieu. Ils permettent de comprendre que l’activité artistique en Afrique, loin de se pratiquer dans une sorte de vide, est en prise directe avec la scène artistique mondiale.
C’est ainsi que nous avons décidé qu’un festival international était le meilleur moyen de réaliser nos objectifs de renforcement des capacités. Mais, dans notre environnement économique et politique peu favorable, comment et avec quels moyens le mettre en place ? Dès le départ, il nous est apparu primordial de nous ouvrir aux partenariats sous toutes leurs formes et à tous niveaux. Nous avons lancé une recherche de partenariats avec les entreprises locales, ainsi qu’avec la communauté diplomatique et les bailleurs de fonds étrangers. En même temps, nous avons forgé d’autres partenariats locaux : des relations suivies avec des établissements scolaires, avec la presse locale et régionale, avec des organisations de relations publiques et de marketing, des projets de revitalisation urbaine, des initiatives de recherche sur les cultures locales, des associations de jeunes, etc.
Pourquoi cette conviction quant à l’importance du partenariat et de la collaboration ? D’abord, parce que le succès de notre festival dépend entièrement de la qualité de nos partenariats. La Voix, ce magnifique projet présenté cette année au festival par l’Afaa et l’ambassade de France en partenariat avec le Hifa, est un bon exemple de ce qui devient possible grâce à la coopération culturelle – sous forme non pas de bonnes œuvres mais de véritables liens porteurs d’avantages réciproques. La Voix est un cas exemplaire : une structure artistique africaine, le Hifa avec son réseau dense de partenariats locaux, noue des liens avec une agence culturelle étrangère pour donner vie à une vision artistique.
Nous avons pu offrir un lieu prestigieux à l’Afaa pour présenter La Voix. Elle a pu bénéficier du soutien de nos partenaires locaux, mais aussi présenter son programme dans le cadre d’une des manifestations culturelles africaines les plus en vue. L’Afaa a travaillé avec nous sur la communication pour assurer la promotion de son soutien : cela lui a permis de mieux faire connaître ses objectifs de financement au Zimbabwe et en Afrique.
De son côté, le festival a bénéficié, grâce aux financements français, des concerts d’artistes tels qu’Angélique Kidjo, Tiken Jah Fakoly, Lokua Kanza, Rex Omar, Mike Ibrahim, Beñat Achiary, la soprane Nathalie Manfrino, Àsà, Davy Sicard, Gazza ou Jacques Greg Belobo, tous présentés sous l’image de marque  » La Voix « .
Le festival a apporté quelque chose de très précieux à l’Afaa : les avantages de notre réseau de relations dans la communauté locale et les ressources financières des entreprises partenaires qui ont permis de couvrir tous les frais locaux et de mettre en scène les représentations de La Voix avec la qualité impeccable que mérite un tel programme.
Nouer des partenariats avec des entreprises n’est pas un domaine facile pour les artistes. Il existe un sentiment réciproque de suspicion et de méfiance entre la communauté artistique et celle des affaires. Pourtant déjà présent dans le sport, le sponsoring dans le domaine de la création était inexistant au Zimbabwe avant le Hifa.
Au départ, c’était vraiment très dur. Nous avons eu beaucoup de mal à convaincre les entreprises que non seulement nous étions capables de réussir une manifestation internationale crédible, mais aussi que leur participation pouvait avoir des retombées significatives pour leur activité. Je me souviens d’occasions où j’ai dû battre en retraite sous la risée d’hommes d’affaires qui me traitaient de doux rêveur. Même les sociétés directement concernées par notre projet, dans le secteur touristique par exemple, se montraient condescendantes, voire hostiles. J’ai très vite compris que séduire une entreprise, ça ne s’improvise pas !
Nous avons commencé en veillant à toujours parler d’investissement et non plus de sponsoring. Il ne s’agissait plus pour nous de nous éreinter à décrocher de maigres sommes sur les budgets caritatifs des sociétés. Nous voulions qu’elles nous prennent au sérieux comme partenaire capable de leur apporter des avantages significatifs en termes de marketing, de publicité et de relations publiques. Nous avons donc imaginé des montages innovants générant de réels retours sur investissements de nos partenaires, sans pour autant compromettre l’autonomie du festival.
Nous avions l’impression de vraiment travailler pour la communauté des artistes, de leur offrir une opportunité prestigieuse pour présenter le meilleur de leur travail à un large public, dans le cadre d’une manifestation bénéficiant d’une communication massive. Nous avons aussi dû veiller à les protéger d’une certaine ingérence dans la créativité qui résulte parfois des partenariats entre entreprises et manifestation artistique, comme l’ont évoqué Fatimah Tuggar et Chéri Samba lors de l’atelier Arts visuels.
Une bénéfique remise en question
Il est important de choisir ses partenaires, qu’il s’agisse de sponsors ou de mécènes, avec beaucoup de soin, pour éviter tout abus de part et d’autre. Chacun se doit de respecter l’autre. Chacun doit être conscient de la valeur de ce qu’il apporte à l’autre, et doit protéger ses propres intérêts. La reconnaissance systématique des partenariats est un exemple : les deux partenaires doivent toujours veiller à afficher de façon appropriée leurs relations réciproques. Cela a été vrai dans le cas de notre excellente collaboration avec l’Afaa pour La Voix, comme avec les nombreuses entreprises qui soutiennent le festival chaque année.
Nous savons tous l’énorme travail qu’il faut accomplir pour convaincre ne serait-ce qu’une seule société partenaire, même si son niveau de financement est souvent faible. Cela vaut-il vraiment la peine lorsqu’il existe des bailleurs de fonds et des agences culturelles internationaux tout à fait disposés à financer des projets africains bien conçus ? Définitivement oui. D’abord, de tels efforts attirent davantage l’intérêt des bailleurs de fonds internationaux, car ils montrent que l’on peut proposer un partenariat plus fort car bien ancré localement. Je suis certain que le Hifa n’aurait jamais autant attiré l’attention de l’Afaa sans le poids que nous donnent nos interactions avec les acteurs socio-économiques locaux.
Ensuite, les partenariats d’entreprise génèrent un sentiment d’appropriation locale. On peut être ravi de recevoir une grosse somme de l’extérieur, mais si le projet n’est pas bien ancré localement, il risque de manquer d’authenticité. Enfin, l’implication d’une entreprise donne accès à d’importants groupes d’employés : ceux de la société partenaire mais aussi ceux des sociétés avec lesquelles elle est en relation. Les remises de prix sur les billets d’entrée des employés et les réceptions sont autant d’occasions pour attirer l’intérêt de nouveaux publics locaux. Cela découle directement de l’implication des entreprises partenaires. Hier, quelqu’un a demandé si nous avions vraiment besoin de Coca-Cola pour danser. La réponse est non ! Mais un partenariat réussi avec une entreprise permet de danser plus librement sur une scène plus belle, dans un contexte plus confiant. Demander à une société de s’investir ne signifie pas vendre son âme au diable !
Pour conclure, je pense que les partenariats sont importants dans le domaine de la création artistique. Dans le cas du Zimbabwe, il existe une attitude protectionniste dommageable parmi différents groupes d’artistes qui travaillent seuls ou au sein de petits collectifs. Tout partenariat réussi peut donc aider à changer les perceptions du travail en commun. Ces collaborations permettent de bénéficier des compétences d’autres personnes et de profiter de leur champ d’influence, qu’il s’agisse d’entreprises ou de bailleurs de fonds. Enfin, les véritables partenariats nous obligent, nous autres artistes et structures artistiques, à réfléchir de façon créative aux moyens de mieux faire valoir ce que nous faisons. Ils nous mettent devant un miroir où nous devons nous remettre en question, réfléchir à ce que nous voulons vraiment et à l’image que nous donnons à ceux qui peuvent nous aider à parvenir à nos fins.

Manuel Bagorro est le fondateur et le directeur artistique du Harare International Festival of the Arts/Hifa au Zimbabwe. Il travaille une partie de l’année à Londres où il a récemment été invité à rejoindre le festival Board of the International Workshop. Il est par ailleurs pianiste classique, compositeur et interprète reconnu.///Article N° : 5822

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