Phénomène nouveau sur les télévisions africaines, les sitcoms burkinabées montrent une Afrique positive.
Abréviation de situation comedy (« comédie de situation »), la sitcom désigne ces fictions télévisées d’une demi-heure où les personnages se débattent dans des situations humoristiques. Genre nouveau en Afrique, la TNB (Télévision nationale burkinabè) diffuse actuellement jusqu’à trois sitcoms burkinabè différentes sur sa chaîne : Kadi jolie d’Idrissa Ouédraogo, A nous la Vie ! de Dani Kouyaté et Vis-à-Vis d’Abdoulaye Dao.
Jugés généralement comme des produits télévisuels bas de gamme, les sitcoms sont néanmoins un vivier sociologique : elles reflètent l’ère du temps mais elles suscitent une identification entre les personnages et le public. Le concept de toute sitcom reposant sur la création d’une famille de personnages, ce sont eux qui priment et qui vont donner le ton à la série. Les sitcoms répondent donc à des règles d’écriture précises. Les personnages sont définis au départ avec un soin extrême dans ce qu’on appelle une « bible ». On sait comment le héros s’habille, quelles sont ses réactions, sa psychologie jusqu’à son signe astrologique si besoin est. Tout est ainsi codifié. En même temps, on invente aux personnages principaux une histoire familiale. On sait quels sont les membres de leur famille, de quel milieu ils viennent, comment ils ont été élevés. On crée des personnages avec un passé très riche qui pourra toujours servir un jour. Au fur et à mesure que la série évolue, on continue de leur inventer un passé. Les spectateurs doivent toujours reconnaître leur héros. Ils doivent pressentir les réactions des personnages et s’en réjouir d’avance. C’est ce qui crée le succès de ce genre de série.
Le décor est bien souvent situé dans un lieu habituel et le découpage doit le servir et l’utiliser. Le public a d’autant plus de possibilités de s’identifier aux personnages qu’il connaît tout de leur mode de vie, de leurs amitiés, de leur type de langage, de leur sens de l’humour. Une bonne sitcom fait en sorte que l’archétype devienne une référence dans la vie réelle. Genre populaire par définition, elle doit entrer dans la vie des gens. Elle doit les influencer par le fait qu’ils éprouvent de la sympathie pour les personnages, qu’ils retrouvent un réalisme dans la représentation donnée des codes culturels, des stéréotypes et des clichés de la vie courante. Ce genre télévisuel a connu ses débuts aux Etats Unis où les sitcoms reposaient plus sur un comique émanant du langage que du personnage. Petites séries inventives, drôles, efficaces, elles ont tout de suite drainé un public nombreux et fidèle. En Afrique, la sitcom est aussi particulièrement bien adaptée aux télévisions africaines et à leur public. Subissant des programmes venus de l’étranger, notamment les telenovelas et les séries américaines, le public africain a soif d’images qui lui ressemblent. Ainsi, lorsqu’une série télévisée ou une sitcom africaine arrivent sur les écrans africains, quelque soit sa qualité, c’est le succès garanti.
Après avoir censuré la diffusion de la série Hélène et les garçons sur sa chaîne nationale, le Burkina Faso a donc applaudi lors du Fespaco 99 (Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision) le lancement de la série burkinabè A nous la Vie ! En Afrique centrale, le Gabon avait déjà sa sitcom L’Auberge du Salut, réalisée par Charles Mensah et Henri Joseph Koumba. Mais, rien n’avait été encore produit de la sorte en Afrique de l’Ouest francophone. Depuis cette première expérience, les sitcoms burkinabè sont devenues de véritables phénomènes sociaux au Burkina Faso. Dans le mensuel Clin d’il de janvier 2002, qui édite les programmes de la chaîne, on remarque que les trois sitcoms A nous la Vie, Vis-à-Vis et Kadi jolie sont des piliers de la programmation de la TNB : Vis-à-Vis tous les mercredis soirs à 19 h 30 et le dimanche à 11 h 30 alors que Kadi jolie passe tous les vendredis et samedis soirs à 22 h 30, ainsi que le dimanche à 13 h 50, et A nous la Vie ! le samedi à 19 h 30.
Selon Toussaint Tiendrebéogo, producteur et auteur de A nous la Vie !, « la vocation de la série est de jeter un pont entre les jeunes des différents pays d’Afrique à l’image de ses personnages qui s’enrichissent des différences culturelles de chacun d’entre eux » (1). Située à Ouagadougou dans un lycée international, les jeunes élèves sont originaires de divers pays d’Afrique et issus de milieux sociaux différents. Dans la première saison, la sitcom retrace leur univers quotidien durant l’année du baccalauréat, mais aussi des problèmes habituellement rencontrés par les jeunes : intrigues amoureuses, problèmes spécifiques (débouchés, contraception, sida). Les héros de A nous la Vie ! font face à tous ces problèmes, mais toujours de manière divertissante. Tout d’abord Myriam N’Diaye, qui est surnommée « Winnie Mandela » : intelligente, studieuse et sérieuse, elle symbolise le dynamisme, la combativité, le courage et l’espoir de la jeunesse africaine. Très populaire et engagée, elle est leader de l’association des élèves et suscite admiration et respect des élèves et des professeurs. Elle est militante d’une association d’émancipation de la femme africaine, luttant contre la polygamie, l’excision, la femme au foyer. Puis il y a Naomi, surnommée « Miss chiffon ». Originaire de Côte d’Ivoire, d’un milieu modeste, elle le dissimule par de grands airs en étant toujours habillée à la mode. Très belle, peu intéressée par les études, elle rêve de s’élever socialement par le métier de mannequin. Boris, surnommé « Einstein » est d’origine malienne. Orphelin, élevé par des surs religieuses, il porte en lui le bon sens et une soif d’élévation revancharde. Travailleur acharné et doué, il est passionné de matières scientifiques. Pour sa part, Saga qui se surnomme lui-même « Beau gosse » est d’origine zaïroise. Fils de diplomate, très amoureux de son physique, il n’a aucun souci pour son avenir. Les études ne sont pas sa préoccupation principale. Autour de ce petit groupe gravitent Monsieur et Madame Barry, dont la fille Sophie constitue le lien entre le lycée, les élèves et sa famille chez qui les jeunes se retrouvent souvent. La quarantaine, Monsieur et Madame Barry sont des parents modernes : lui est journaliste, il a une conception souple de l’éducation. Elle est couturière, et a une conception plus stricte de l’éducation bien qu’étant une femme dynamique et toujours en mouvement. Les personnages d’A nous la Vie ! ont donc la chance d’avoir auprès d’eux les membres d’une famille atypique qui savent les éclairer lorsque le besoin s’en fait sentir.
Le cadre de la deuxième saison d’A nous la Vie ! est à la fois le milieu estudiantin africain et les tribulations des jeunes qui arrêtent leurs études après le bac afin de s’insérer dans la vie active. Le ton de chaque épisode est cependant très léger : il montre une jeunesse africaine relativement dorée, confrontée ni plus ni moins à tous les problèmes que rencontrent les jeunes partout dans le monde. A ce niveau, on pourrait reprocher à cette sitcom d’être très éloignée des conditions de vie des lycéens africains, davantage révoltés par les réalités économiques et politiques de leurs pays que ne le sont les héros de la série. Bien que très édulcorée, A nous la Vie ! a néanmoins le mérite de montrer de jeunes scolarisés, confiants en l’avenir et surtout, donnant la part belle aux jeunes filles et à leur volonté de se démarquer des carcans traditionnels. Sans être provocants, les épisodes de A nous la Vie proposent une image relativement innovante des jeunes Africains, autonomes car séparés de leurs familles, mais fédérés autour de valeurs communes que symbolisent Monsieur et Madame Barry.
Dans la série Vis-à-Vis, le ton est différent. Plus drôles, les épisodes tendent davantage vers la satire sociale comme moyen de sensibiliser et de faire évoluer les mentalités. Produite par la TNB, Vis-à-Vis aborde des sujets aussi variés que l’économie, le politique, le social, la culture ou le fonctionnement de l’administration. Elle attaque les vices et les ridicules de son temps. Située autour de la buvette, les gens se retrouvent pour évoquer leur soucis. En fait, la série s’inspire de l’expression latine « castigat mores riddendo » qui signifie : « On corrige les moeurs en riant ». Alors que A nous la Vie est ciblée sur la jeunesse francophone d’Afrique de l’Ouest, Vis-à-Vis vise davantage le public adulte burkinabè. Le succès de la série repose en partie sur un comique national très connu au Burkina Faso, Abdoulaye Komboudri. Acteur populaire de cinéma, Komboudri a tourné dans de nombreux films africains. Pour les Burkinabè, il est « l’homme du peuple ». Dans Vis-à-Vis, il est Hamed. Il a pour ami Ignace, joué par Hyppolite Wangroua. Les sujets abordés sont très variés mais toujours ciblés sur la critique sociale : l’épisode Brouhaha électoral souligne par exemple le faible niveau de compréhension des électeurs qui se font manipuler par les politiciens aguerris à l’approche des élections. Millionnaires en cavale dénonce les méfaits du PMU sur les joueurs crédules. Dans Avant Fêtes, c’est la démesure des dépenses à l’approche des fêtes de certaines personnes qui s’endettent pour leur famille sans se soucier du préjudice financier qu’ils vivront plus tard. Un chat noir dans la buvette dénonce le pouvoir des marabouts et charlatans qui utilisent des moyens lugubres pour escroquer les honnêtes personnes. Quant à l’épisode L’empire Ayateau, il interpelle les pouvoirs publics sur le pouvoir de l’argent, parfois sale, au détriment de la morale. Grâce à ses dialogues caustiques, la série critique en usant du rire. Pour atteindre le téléspectateur, elle met en scène des situations ridicules qui doivent toucher rapidement.
Kadi jolie présente un regard ironique sur les réalités quotidiennes du Burkina Faso. C’est en 1999 que le Burkinabè Idrissa Ouédraogo s’est lancé dans l’aventure de la série. Ayant pour objectif initial d’être une alternative à la fameuse sitcom Hélène et les garçons, la série Kadi jolie est également construite autour de deux groupes : d’un côté les filles, de l’autre les garçons. Mais là s’arrête la ressemblance. L’héroïne de la série, Kadi jolie, est loin d’être mièvre et naïve ! Trentenaire, célibataire et indépendante, son mot d’ordre est : « Faut pas nous emmerder« . Jouée par Aminata Diallo-Glez, Kadi jolie a pour amie Nora, interprétée par Léontine Zoundi. Dans cette sitcom, ce qui prime avant tout, c’est l’auto-dérision. Tournant en décor naturel, Ouédraogo ne cherche pas à faire du cinéma, refusant de donner une ampleur artificielle à ces mini-fictions d’une dizaine de minutes chacune. Il fait peu de plans larges, utilise un environnement réduit et a un goût prononcé pour les gros plans de visages ébahis. En fait, il reprend des règles précises attribuées à l’écriture des sitcoms : le complot est au coeur de l’histoire : les intrigues fleurissent, les stratégies improvisées s’affrontent. Toutes s’achèvent immanquablement par la victoire des femmes. Les hommes sont paresseux, pas très malins, mais attachants tout de même, aussi inutiles et lâches soient-ils. Pour leur part, les hommes de pouvoir (ministres, imams) sont gentiment brocardés par les petits et la dimension magique est prise en charge par les personnages dont les manigances s’appuient sur de très anciennes superstitions (rôle des marabouts, apparition de démons, métamorphoses, sorts jetés).
« Les hommes, il suffit de lever le coude, y en a partout. L’essentiel pour moi est que mon homme ait du travail« , dit Kadi jolie. Armée de détermination, elle ridiculise les machos dans l’épisode Dom Juan, se joue des hommes qui la poursuivent dans Rira bien qui rira le dernier. Elle symbolise à elle seule la femme moderne africaine qui prend en main son destin et ne se laisse pas mener par les hommes. Très appréciée au Burkina, la série fut également diffusée tous les mardis à 21h45 sur la chaîne thématique française Comédie !
Bien que de qualité inégale, ces sitcoms burkinabè ne peuvent laisser indifférent. Non seulement elles offrent aux Burkinabè un divertissement innovant en face duquel bien des productions occidentales paraissent pâles et tristes mais, elles sont aussi des objets audiovisuels par le biais desquels un large public africain peut facilement se voir et se reconnaître. Dans ces trois séries, c’est une Afrique vivante et caustique qui est représentée ; c’est une Afrique jeune et dynamique qui est mise en avant, où les femmes ont droit de cité, où les jeunes sont responsabilisés, où la corruption et l’irresponsabilité sont dénoncées.
(1) voir le dossier de presse A nous la Vie ! Complètement Africains, Carrément Jeunes réalisé par Pyramides Films en coproduction avec la TNB et la DCN. ///Article N° : 2290