Je reviens dans mon pays après plusieurs années sur les routes en Afrique et en Europe
Première observation : tout Kinshasa ne semble vivre que pour le ‘paraître’. Paraître riche et fort et séduisant, briller à tout prix. Ainsi la rue est un spectacle permanent, un spectacle dont l’extravagance n’a d’égal que les tragédies qui le sous-tendent : car derrière le costume Versace ou la Mercedes V12, derrière l’Immeuble Gécamines et autres éléphants blancs, derrière le grandiose de la frime officielle ou des sapeurs, qu’y a-t-il sinon le vide, des vides ? Ventres vides de femmes et hommes qui se nourrissent de leurs peurs et doutes, caisses vides d’un Etat fait de ruines et de paludisme. C’est comme si, pour satisfaire à son besoin permanent du spectacle, la société devait se nourrir de tout, jusqu’à sa propre matérialité. Par quel bout alors inscrire une pièce, de surcroît de danse contemporaine, dans ce spectacle omnivore qu’est la société elle-même ? Que peut-on encore proposer lorsque la rue dépouille le théâtre de son monopole du dérisoire, de l’éphémère, du brillant et du vide ?
C’est de ce questionnement que part « Spectacularly Empty ». Pièce pour quatre danseurs, tissée à quatre mains en collaboration avec le scénographe français Jean-Christophe Lanquetin, avec la participation du journaliste et ingénieur de son franco-tunisien Khaled Loussaief. Ce dernier est un non-voyant qui régulièrement arpente Kinshasa accroché à ses bruits seuls, et c’est à partir des enregistrements effectués dans les rues et quartiers de la ville ainsi que de quelques musiques préexistantes (Arvo Part, Kevin Volans) qu’il va créer la bande originale du spectacle.
Mon souhait : que cette pièce ne soit dansée qu’en des endroits non prévus à cet effet, dans des espaces indéterminés, à trouver dans les quartiers des villes (en R.D. Congo et ailleurs). Sortir des théâtres, aller dans les quartiers et tenter d’ouvrir pour les habitants une fenêtre vers des rêves autres que la survie quotidienne ; et ce non pas en portant comme une peau de désespoir son masque d’opulence matérielle, ni en évoquant comme les enseignes des commerces dans les quartiers populaires des noms mythiques d’ailleurs (Garage Roissy, Resto-Terrasse Bercy, Cordonnerie La Firenze, Station Japan). Mais essayer d’inventer un moment de rêve en exhibant comme les conteurs la pauvreté de ses moyens : des corps ordinaires dans un espace familier.
Mais peut-être aussi aller dans le quartier pour simplement retrouver ma grand-mère et lui dire : « J’ai longtemps été sur les routes. Longtemps pour avancer je me suis répété que terre d’exil ou pays natal, peut-être que partout n’était qu’exil, que ma seule patrie vraie n’était que mon corps. J’essayais donc de survivre comme une musique jamais écrite
Mais ce soir regarde cette foi nouvelle que je me suis inventée sur les routes et dis-moi si tu y vois un reflet qui te parle. Y a-t-il seulement encore entre toi et moi autre chose que le sang commun de nos veines ou des bouts de souvenirs à ramasser sur les ruines de Kisangani ? »
Interprété par Papy Ebotani, Madrice Imbujo, Djodjo Kazadi et Edwige Makanzu, « Spectacularly Empty » est créé au RETIC (Rencontres Théâtrales Internationales du Cameroun), 02 au 08 nov. 2001 puis le même mois à Kinshasa.
Coproduction : Les Studios Kabako, La Halle de la Gombe (CCF de Kinshasa).
Avec le soutien de l’A.F.A.A., Programme Afrique en Créations.///Article N° : 14