sur le tournage de La Genèse

Entretien d'Olivier Barlet avec des techniciens maliens

Hombori, Mali, février 1997
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Bakary Sangaré
J’ai commencé le son au cinéma sur Ta Donna avec un ingénieur en radio-électricité qui n’avait pas comme spécialité la prise de son cinéma. C’est avec Martin Boisseau sur Guimba que j’ai commencé à prendre la pêche, comment étudier rapidement un plan à partir d’un scénario, faire passer le micro pour avoir l’angle précis pour la prise de son, utiliser le nouveau matériel DAT pour prendre les ambiances et les sons en stéréo. Nous bénéficions d’un réel transfert de connaissances dans le domaine technique. Que ce soit Lionel ou Martin, c’est surtout pour nous un stage. Ils viennent faire un travail mais en même temps forment des techniciens africains. Ils le font très bien, toujours la main ouverte. Je ne peux pas dire que je suis à 100 % prêt mais je pense pouvoir prendre maintenant un plateau au niveau prise de son.
Le problème matériel se pose crûment : on peut apprendre mais sans le matériel, c’est difficile. Le manque de continuité est aussi difficile : on perd la main car on ne travaille pas assez.
Et on a tendance à mépriser les techniciens, notamment ceux de la  » civilisation assise  » ! Les assistants réalisateurs croient que le technicien est là pour les boulots durs. S’ils aidaient les techniciens, une réelle solidarité naîtrait. Il faut que la réalisation comprenne ça en Afrique.
Enfin, il faudrait que tout l’argent d’un film passe vraiment dans le film : ça permettrait de faire du bon travail.
Nous voulons tendre vers un professionnalisme qui permette aux réalisateurs de se libérer.
Mohamed Lamina Touré
Tout à fait d’accord !
Une confiance s’installe de la part des réalisateurs mais il faudrait nous laisser assumer une relève totale. Que l’on puisse dire qu’un filme sorte complètement de l’Afrique. J’ai tout appris de Lionel Cousin, notamment dans le 35 mm. C’est mon maître ! Et c’est son initiative que nous nous rencontrions !
Si l’Occident veut aujourd’hui aider le cinéma africain, il faudrait penser à l’équiper. On amortit beaucoup les coûts de production en équipant les structures africaines comme le CNPC. La Coopération nous a donné une bonne partie du cablage : voilà une aide efficace. Cela coûte moins cher que de l’amener à chaque fois de France ! Si c’était compris, cela aiderait beaucoup le cinéma africain.
Les réalisateurs ne sont rien sans nous : il faut nous laisser aussi la parole.
Bakary Sangaré
On pense toujours que le cinéma c’est la réalisation. En étant à la perche, je peux déceler les faiblesses du scénario. Il faudrait qu’au niveau du découpage, les aspects techniques soient d’avantage travaillés : faire par exemple un briefing quelques jours avant le tournage pour sentir ce que chacun voudrait retoucher au scénario. Des plans sont parfois presque impossibles car la construction technique du scénario pêche !
Nous ne somme pas aidés pour accéder à un niveau supérieur : les difficultés de la post-production sont celles de la production. Cela nous ouvrirait les yeux pour préparer d’autres tournages. Ce n’est pas seulement de faire venir des équipes sur le terrain, mais aussi nous ouvrir l’horizon. Et cela pour pouvoir préparer une relève.
Je suis heureux que l’on s’occupe de la technique car elle a quelque chose à dire qui pourrait changer les choses. Les réalisateurs africains doivent se dire qu’une seule personne ne peut pas faire un film ! Ce sont aussi le petit caméraman, le petit ingénieur du son, le petit perchman…
Touré
Les réalisateurs africains connaissent rarement la technique cinématographique : cela leur manque. S’ils savaient dans la technique tout ce que nous savons de la réalisation, on ferait de meilleurs films ! Il est temps qu’ils s’y intéressent ! La formation d’un réalisateur devrait passer par la technique !
Sangaré
…et apprendre à construire un scénario !
Hasanne Mazou Maïga
Ma spécialité, l’éclairage, me passionne. Je déplore cependant que les réalisateurs africains oublient leurs techniciens et finissent par dire que notre niveau est bas sans faire aucun effort quant à notre formation.
Les difficultés sont portées par les techniciens qui doivent faire des sacrifices pour terminer le film. On mange mal, on dort mal… La réalité africaine…
Diproci Ouaga après formation : courts métrages, longs métrages… au début je n’étais pas intéressé et finalement j’ai pris goût à la chose car il n’y a pas de sot métier ! Ce qui compte, c’est l’amour pour ce que l’on fait. Je me disais que si j’avais envie de virer vers la direction photo, ce serait plus facile.
J’ai fait une vingtaine de longs métrages africains…
A la Diproci, j’étais à la fonction publique. Ce n’est qu’en octobre 96 que j’ai pris une disponibilité pour faire ce métier à mon propre compte. J’essaye et vois si ça marche. Sinon, je retournerai à la fonction publique ! Tant qu’il y a des tournages, ça va !
Il faut que le problème arrive pour que les réalisateurs se rendent compte que l’éclairage est aussi important que le reste du travail. Nous voilà confrontés à un problème de groupe. Nous en avions parlé à la régie, mais ça n’a pas été pris au sérieux. Cela va nous forcer de rester quelques jours de plus à Hombori. C’est un problème qui aurait pu être résolu à temps si nous avions été écoutés. Au niveau des projecteurs, c’était la même chose : on a eu des courts circuits car le matériel utilisé n’a pas la maintenance nécessaire. Ce matériel venant de différents services étatiques n’a pas de maintenance et ne reçoit pas de pièces de rechange. Aucun moyens ne sont mis au service des techniciens pour entretenir le matériel. Deux gros projecteurs de 4 kilos sont tombés en panne. Je savais qu’il fallait acheter des moteurs de rechange. A Hombori où nous sommes loin d’un grand centre, il aurait fallu prendre des précautions. Notre manière d’éclairer en souffre !
Pour le reste ça va. Malgré les difficultés, on arrive à s’en sortir ! L’équipe a déjà travaillé ensemble : on se connaît et c’est ce qui fait notre force ! Il faut que les réalisateurs africains arrêtent de dire que le niveau des techniciens africains est bas : il faut qu’ils aient confiance en leurs techniciens. Car c’est grâce à ces mêmes techniciens qu’ils sont arrivés où ils en sont. S’ils ne font rien pour leur formation, qu’ils cessent de les critiquer !
Une fois qu’ils ont du succès, ils oublient totalement leurs techniciens. Ce n’est pas le cas de Cheick Oumar Sissoko, Gaston Kaboré, Henri Duparc qui font tout pour former les jeunes et se préoccupent de leur avenir.
Lionel Cousin :
Cette progression du stade technique du terrain à l’apprentissage technique véritable que le laboratoire pourrait facilement offrir sous forme de stages est coupée : on ne voit jamais la continuité du travail. Il y aurait un apprentissage complémentaire indispensable. L’autonomie du cinéma ici pourrait se faire avec des directeurs photo formés à la post-production. C’est aujourd’hui une nécessité absolue : la création de stages de complément amènerait une qualité de travail parfaite.
Maïga
Quand on travaille avec Lionel, tu apprends et tu comprends ce que tu es en train de faire : il n’hésite pas à t’expliquer et te former. Ce n’est pas le cas de tous les directeurs de la photo. Et même lorsqu’il est convaincu de ce qu’il fait, il te demande ton avis : ça met à l’aise pour travailler. Cela donne l’envie de travailler avec lui et ça remonte le moral car on sait qu’on va de l’avant.

///Article N° : 2544

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