Adama Sallé vient de nous quitter ce 21 juillet 2014. En hommage à ce réalisateur bourré de talent et qui promettait beaucoup, retour sur un de ses courts métrages à l’occasion d’un atelier sur la critique qui a réuni une quinzaine de journalistes à Nouakchott en avril 2014 sous l’égide de l’Institut français. Cet article est le fruit d’un travail collectif. Avec Tao-tao !, Adama Sallé confirmait son talent de court-métragiste, qui éclatait déjà dans son film de fin d’études, L’Or blanc. Tao-tao ! peut être entièrement visionné sur la page du film sur notre site.
Tao, tao ! – qui évoque le cri du chasseur – est un film d’homme à destination des hommes. Se marier revient-il à se passer la corde au cou ? Comment réussir son couple ? Question simple et pourtant bien complexe, quand la femme que vous aimez se refuse à vous à moins que vous ne lui fassiez une omelette ! C’est ce qui arrive à Amadou qui se rend donc chez l’épicier acheter des ufs. Mais voilà que tous les ufs qu’il achète sont vides
Il manque donc quelque chose d’essentiel pour que ce couple fonctionne. Ce n’est pas un problème de puissance sexuelle : les nombreuses évocations sensuelles de sa femme sous la douche ou lascive sur le lit ne sont là que pour montrer la frustration d’un Amadou obsédé par l’envie de passer à l’acte et qui ne comprend pas pourquoi sa femme Binetta se refuse à lui. Ils se tournent le dos sous la photo de leur couple heureux qui s’embrasse amoureusement. Pourtant, chacun semble remplir le « contrat de mariage » classique évoqué par la succession de plans fixes de style photographique du début : Amadou semble ramener l’argent nécessaire à la maison et Binetta lave le linge sans rechigner. Mais les ufs sont vides, et le va-et-vient entre maison et épicerie fera monter la tension liée à ce mystère qui dans tout couple fait que de l’insatisfaction naît peu à peu du poids de l’habitude.
Ce n’est que lorsque Amadou aura trouvé la voie à la fois de faire plaisir à sa femme et de renforcer son autonomie que les ufs se rempliront à nouveau pour que l’omelette prenne et que l’enfant apparaisse. Adama Sallé ne propose pas une quelconque alternative à l’extrême classicisme d’un couple « normal » : les scènes de bonheur pourraient être une publicité pour Coca-cola ! Là n’est pas son propos, seulement de rappeler à tout homme que dans tout couple il doit parfois prendre l’initiative pour rendre possible un renouveau.
La réussite de ce court métrage est de le dire sans le dire et sans lourdeur, pratiquement sans dialogue et par la force d’une métaphore qui n’en est pas une (l’omelette n’évoque pas un dicton) et qui donc agit comme un mystère à résoudre, celui de la simple alchimie que tout homme doit inventer afin de satisfaire sa femme pour que sa femme le satisfasse. Et puisqu’il s’agit de sexe, il fallait un peu de nudité pour bien placer les choses, émoustiller un tant soit peu les spectateurs qui retrouveront ces moments de frustration qu’ils sont souvent peu conscients d’engendrer eux-mêmes, au risque de développer violence ou rejet.
Il est clair que dans une telle volonté, le couple de Tao, tao ! s’inscrit dans les codes de la « normalité », le partage des rôles entre homme et femme étant tout ce qu’il y a de plus classique et n’étant pas remis en cause. Mais c’est aussi la force de ce film de s’adresser ainsi au plus grand nombre, dans une pédagogie aussi ludique que drôle. La reprise de ces codes à l’image, et donc l’imagerie propre aux idéaux du mariage déclinés sous de multiples formes, permet à Adama Sallé d’ouvrir à la fois les identifications et les distanciations que chacun ne manquera pas d’appliquer à cette réjouissante histoire.
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