Tchad : Nyamirambo de Nocky Djedanoum, une poésie du génocide et du manifeste pour la vie

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On l’attendait sur le front de son propre pays jalonné de puissantes dictatures, de guerres civiles, de déserts; mais le poète tchadien, tournant le dos aux massifs du Tibesti et de l’Ennedi (hauts lieux de l’art rupestre du Tchad), nous embarque à destination de « Nyamirambo », célèbre mémoire du génocide que le Rwanda, pour marquer l’histoire, a récemment donné à …l’histoire. Incursion au cœur d’un recueil de poèmes où l’humanité s’énonce en termes de linceuls, de crânes et de catacombes.

Nyamirambo n’est pas vraiment un titre, du moins pas comme les autres. C’est un prétexte. Il ne s’agit pas de nommer un livre, de désigner tout simplement la porte d’entrée d’une fiction, mais de braquer l’attention sur une réalité à la fois esthétique et tragique. Il nous semble que Nocky Djedanoum choisit ce mot du kinyarwanda pour son incontestable beauté sonore. Un mot long comme il en abonde dans les grands lacs et à Madagascar. Mais la principale motivation du choix de ce mot-nom procède surtout de l’horreur qui lui est désormais consubstantielle, depuis le massacre des Tutsi en 1994. La quatrième de couverture du livre en dresse le tableau macabre et affiche les ambitions du poète : Nyamirambo! Immense cimetière de corps et d’âmes mutilés. C’est là que s’est incarné l’instinct le plus bestial de l’homme, et c’est aussi là que se tient, figée pour l’éternité, la honte de l’humanité. C’est pour réveiller les consciences engourdies, dessiller les yeux qui refusent de voir, que crie Nocky Djedanoum.
D’entrée de jeu, le livre n’est cependant pas un cri. Il est plutôt une marche du poète sur une corde raide, les bras levés et les mains ouvertes. Dans cette position liminaire de déséquilibre, où la poésie ne réussit pas à s’affranchir vraiment de la prose, le poète semble en effet se chercher et chercher l’autre dans une réalité sans cesse évanescente, vaporeuse, nuageuse, atemporelle, utopique, où la vie, denrée d’une douceur exquise est franchement rarissime. Il se laisse par conséquent envahir par un flot de souvenirs lyriques et surtout par une profonde méditation sur la condition de l’homme et sur la mort :
C’est un leurre de penser que la mort se laisse enfermer dans les cercueils et les caveaux; c’est un autre leurre de vouloir la réduire en poudre puis la jeter au vent comme le font les accros de l’incinération.
La mort chez Nocky est donc vivante, elle est absente des lieux où la convention s’échine à la loger. Lorsque l’homme en fait un instrument de son pouvoir, elle devient productrice des images tellement inimaginables et impensables qu’il semble que seuls les yeux peuvent les représenter pour eux-mêmes et seulement pour eux-mêmes. Nous avons là une admirable définition du génocide du Rwanda que le poète appelle la terre de tous les noms.
Poète de la marche et donc de la terre, Nocky fait de Nyamirambo sa patrie, sa « terre natale » et du génocide son patrimoine. Dès lors, ce n’est plus lui qui parle à la terre dynamitée de crânes et de catacombes, c’est cette terre aux beautés innombrables à la voix tour à tour/Posée/Grave/Fluette/Enjouée/Enflammée/Larmoyante/contradictoire qui, dans un assaut mystique, propre à la paganité tropicale, prend la parole et dévoile au poète ses énigmes, ses saisons, ses reliefs, ses couleurs, ses eaux, ses hommes, ses femmes, son 6 avril 1994, jour fatidique où le soleil a éclipsé derrière les collines sans crier gare/ Jetant les miens au tranchant de la nuit sans cœur/ La terre de mes rêves.La terre d’une récursivité obsessionnelle chez ce poète n’est pas un lieu de sédentarisation. Elle voue l’homme à un nomadisme perpétuel, à une liberté sans fin : Et pourtant, malgré son ascendant total sur moi/ Elle me laissait libre. Mais le génocide a modifié le destin de la terre rwandaise qui est passée de simple patrie à un lieu de pèlerinage et de recueillement, un incommensurable linceul/ Jeté par-dessus des millions de crânes/De tibias/ De phalanges/Des milliers d’âmes errantes. Face à ce chaos où le pouvoir de nomination des mots se ruine, les sentiments s’expriment en termes de questions insolubles. Mais la mission du poète, elle, demeure intacte. Elle est de toujours partir de la terre natale et de toujours y revenir. Orfèvre de la terre profanée, il se laisse dire sa mission césairienne de souffrance :
Tu exporteras leurs plaies béates
Tu te feras apôtre de leur chaos.
L’évocation du chaos ici est tremplin vers l’enracinement. Les lieux d’espoir de Nocky dans ce livre sont multiples, mais ils renvoient toujours à la mémoire collective de l’Afrique: Nyanza, Ile de Gorée, Mombassa, Fouta Djalon, Ndjaména, Bobo Dioulasso. Son inclination pour le pays des milles collines est légendaire. L’omniprésence des collines dans le recueil, leur don d’ubiquité, leur pouvoir divin font d’elles de véritables forces tapies dans la présence et qui nous observent, nous épient, nous cernent, nous ceinturent, où que nous nous cachions. Leur permanence anthropomorphe renforce le climat païen qui parcourt et mystifie toute l’œuvre. Pour sentir le pouls naturel des collines, le poète se met au rebours du commun des mortels en revendiquant la solitude, un état qui lui permet de sentir l’existence de l’intérieur et de Dire contre l’amnésie/Dire pour exister encore/ Dire pour la foi en la vie…
Si le réel foisonne dans Nyamirambo, il serait hâtif de conclure que Nocky Djedanoum est un poète réaliste.

///Article N° : 4006

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