Financé par l’Etat malien, le Conservatoire des Arts et Métiers Multimédias Balla Fasseke Kouyaté apparaît comme une institution exemplaire : un projet pédagogique novateur et ambitieux et une mise en uvre fructueuse de partenariats intelligents.
La barre blanche des ateliers accolée au flanc d’une des collines de Bamako comme un barrage ; en forme de grenier dogon, la médiathèque de pierres roses à la porte jaune soleil ; un toguna de verre et d’acier pour le public et l’administration. Le CAMM/BFK construit par Jean Loup Pivin et Mustaph Soumaré est un bâtiment remarquable.
Une étude préparatoire très poussée a convaincu Alpha Konaré, alors Président de la République, de lancer ce projet d’un lieu de formation supérieure pour les arts. Conçue par Abdoulaye Konaté, cette école, dont la direction lui a été confiée depuis sa création, est une expérience rare en Afrique et dans le monde : une école multimédias et pluridisciplinaire de haut niveau.
D’une part l’Institut National des Arts de Bamako, lui-même dévolu à plusieurs disciplines, n’offre pas de possibilité d’études post-diplôme. D’autre part il manque une formation adaptée à l’Afrique, capable, hors de l’académisme, de prendre en compte le passé culturel africain, sur les plans artistique, conceptuel, esthétique, mais aussi économique et social. Les sociétés africaines ont traversé l’Histoire, mais dans le processus historique de domination – qui n’a pas encore pris fin, leurs cultures se trouvent en situation d’infériorité. L’art du monde, l’art du continent africain ne sont pas enseignés, alors qu’ils proposent une vision originale du monde qui constitue une richesse universelle et méconnue.
Depuis la rentrée 2004 le CAMM/BFK accueille les étudiants pour un cursus de cinq ans. A l’heure actuelle, quatre sections en regroupent plus d’une centaine. Chaque section recrute dix étudiants chaque année, soit une trentaine pour la danse, la musique et les arts plastiques et une vingtaine pour le multimédia, plus récemment créée. Le multimédia est une section autonome mais qui également établit un lien entre les différentes disciplines, agissant transversalement. Un diplôme d’ingénieur en actions artistiques et culturelles est depuis peu mis en place. Un enseignement de théâtre débutera en 2008. La création de sections mode et design se trouve à l’étude.
La sélection est de plus en plus sévère du fait de l’accroissement du niveau des candidats et de la notoriété du CAMM/BFK. La procédure de sélection soumet les candidats à des épreuves et s’attache à leur parcours comme à leur motivation et aux orientations de leur travail personnel. Les études sont gratuites et les étudiants reçoivent une bourse.
Le projet pédagogique se fonde sur l’excellence et l’ouverture, la liberté et la rigueur. Abdoulaye Konaté insiste sur la liberté d’expression et de création, la souplesse, le débat intergénérationnel et interculturel. En Afrique, les moyens nécessaires à la formation des jeunes artistes et professionnels sont difficilement accessibles. A tous les problèmes inhérents à la mise en place d’une nouvelle école supérieure d’art, s’ajoute donc la question de sa situation géographique, qui rend l’entreprise particulièrement complexe et audacieuse.
La richesse de la scène culturelle malienne, son attrait international et les nombreuses manifestations organisées sur le territoire offrent de grandes potentialités aux jeunes. Le secteur musical est particulièrement propice à la formation des jeunes musiciens. La danse traditionnelle est bien représentée et la danse contemporaine bénéficie d’un festival annuel. Le Musée national possède une belle collection, des expositions d’art contemporain y sont occasionnellement proposées et tous les deux ans les Rencontres africaines de la photographie rassemblent un nombre important d’expositions de qualité. Le CAMM/BFK se doit également d’importer l’actualité et les informations afférentes aux différents champs artistiques enseignés.
Le Conservatoire se propose comme point de rencontre entre cinq fondamentaux : les nouvelles technologies, les différentes disciplines enseignées, la culture malienne et l’art traditionnel, les savoirs académiques et enfin la contemporanéité mondialisée. Le champ de travail, à la fois théorique et pratique, prépare les jeunes artistes et les jeunes professionnels à entrer dans un monde artistique et technique à l’intérieur duquel les moyens d’expression se trouvent décloisonnés, les frontières entre les savoirs, les disciplines, les manières de faire deviennent de plus en plus poreuses au fur et à mesure du développement des nouvelles technologies de l’image, du son et de la transmission.
L’équipe administrative, pédagogique et technique se compose d’une trentaine de personnes. L’équipe pédagogique permanente est formée de professionnels reconnus des divers secteurs artistiques, appuyés par des enseignants cubains.
Cette école manifeste une volonté de faire pénétrer le « dehors », assurant qu’un tel lieu n’est jamais assez ouvert et accueillant, d’affronter la question des liens entre tradition et modernité, territoire et mondialité, de penser l’universalité de l’art.
Afin de concrétiser cette ambition, l’Etat malien s’engage avec des moyens financiers qui l’honorent et une farouche détermination, portée par le Ministre de la culture Cheick Oumar Sissoko. La culture et la formation forment des piliers essentiels de la politique malienne.
Le principal partenaire financier du CAMM/BFK, outre le Ministère de la Culture, est l’Union européenne qui participe de manière décisive à l’équipement en matériel professionnel de pointe, permettant par exemple actuellement l’installation complète d’un studio son. Le CAMM/BFK devient au fil du temps un excellent outil de production.
Afin de s’assurer un succès optimal, le projet pédagogique s’appuie sur des partenariats et des échanges. Techniques, intellectuels et pédagogiques. S’ils sont à l’heure actuelle essentiellement européens, Abdoulaye Konaté souhaite les développer en direction de l’Afrique et d’autres continents, tels l’Amérique du Sud où des pays comme le Brésil ont su créer des structures et des enseignements artistiques de qualité et des solutions originales.
Le premier de ces partenariats internationaux permet à des professeurs venus de Cuba de faire partie intégrante de l’équipe pédagogique permanente et de dispenser un enseignement académique de base en musique, danse et arts plastiques.
Autre partenariat institutionnel, celui qui fonde le Master (Bac + 5) en actions artistiques et culturelles. Il préparera une quinzaine d’ingénieurs en conception, organisation et gestion de projets culturels. Ces experts sauront identifier les besoins du terrain, imaginer des projets et mettre en place les actions, et enfin analyser et évaluer les résultats obtenus. Ce DIAC est réalisé avec l’Université Paris 8 – Saint Denis. L’Université de Verone apporte également son concours. Il est parrainé par les trois Ministères maliens concernés (Culture, Education, Tourisme), la Communauté européenne, l’Agence universitaire de la Francophonie, les diverses instances de la coopération française (CCF, SCAC, CulturesFrance). Le nombre de festivals et de touristes augmentant, la demande culturelle se révélant de plus en plus pressante, la nécessité de mieux maîtriser certains aspects des industries culturelles, dans les domaines de la musique, du livre et du cinéma, la volonté ministérielle de mettre en place des structures performantes induisent la nécessité de former des personnels compétents, à tous les niveaux d’action du secteur. L’expérience et la réussite de formations similaires à Paris 8 sont garantes de la validité du projet et de sa capacité à être immédiatement opérationnel.
Les écoles d’art françaises approvisionnent régulièrement la médiathèque du CAMM/BFK. L’école d’Angers et l’ENSBA ont offert de nombreux livres, le Studio national du Fresnoy a apporté un nombre important de documents audiovisuels.
Le CAMM/BFK souhaite instituer un réseau d’écoles d’art mondial afin de favoriser l’échange et la circulation des étudiants et des enseignants. L’expérience a débuté avec les écoles d’art françaises et l’association « Bois sacré » qui envoie tout au long de l’année des professeurs invités pour animer des ateliers d’arts plastiques ou de multimédia.
Le PSIC finance une série d’interventions techniques ou théoriques de professionnels internationaux dans tous les domaines.
Un atelier vidéo, en partenariat avec la Fondation Jean Paul Blachère et le Centre culturel français, a offert ce printemps à huit étudiants l’opportunité de travailler avec huit vidéastes : Ingrid Mwangi, Michèle Magema, Mohamed El Baz, Guy Wouete, Achilleka, Jimmy Ogonga, Adrien Sina, Marcus Kreiss. La projection nocturne des films réalisés a investi le Conservatoire dans sa totalité, modèle d’installation in situ, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, proposant ainsi aux nombreux spectateurs de découvrir une lecture originale de la ville de Bamako.
Ce compagnonnage institutionnel, associatif ou individuel permet à chaque étudiant, à chaque artiste intervenant et à chaque enseignant de profiter au mieux des ressources intellectuelles, techniques et artistiques de son époque. Parce qu’il s’élabore avec le temps, qu’il se tisse, s’entrelace et devient complexe, parce que la demande s’affine et s’intensifie, il évoluera au fil des réflexions et des progrès. Le Conservatoire s’ouvrira à l’avenir davantage aux étudiants étrangers et aux intervenants extérieurs, artistes ou théoriciens. Sa mission évoluera sans doute vers une articulation formation/production/diffusion qui fera de ce lieu une référence dans son domaine.
Le souci conjoint de l’Etat malien et d’Abdoulaye Konaté, à travers cette école, est qu’une transmission des savoirs de haut niveau donne aux jeunes artistes et professionnels le bagage nécessaire et la volonté de jouer un rôle dans l’avenir de leur pays. Un des principaux problèmes de l’Afrique est la fuite des cerveaux : les élites sociales, économiques, scientifiques et culturelles font défaut à l’Afrique et cette situation s’aggravera du fait des politiques d’émigration sélectives choisies par les pays occidentaux. Le CAMM/BFK initie une manière positive d’agir pour la génération émergente, des formations supérieures favorisant des perspectives d’activités nouvelles.
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