Voici venir les rêveurs

De Imbolo Mbue

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Avec ce premier roman très attendu, Imbolo Mbue se réapproprie le rêve américain dans la peau d’un couple camerounais prêt à tout pour qu’il devienne leur réalité. Voici venir les rêveurs, qui aurait été financé à hauteur de un million d’euros par la maison d’édition Random House, a été traduit en français pour cette rentrée littéraire 2016.

Etats-Unis, 2007. Barack Obama est en passe d’être élu Président des Etats-Unis d’Amérique. 60 ans environ après la lutte pour les droits civiques, un Noir, un enfant d’Africain, pourrait donc accéder au pouvoir suprême. Et faire ainsi voler en éclat, au moins dans les représentations, l’image d’une Amérique ségréguée. L’ « American dream » en puissance pourrait ici s’incarner. Cette image hautement symbolique s’immisce dans les premières pages du roman Voici venir les rêveurs.
Jende et Neni Jonga, les protagonistes de ce premier roman d’Imbolo Mbue, sont de ces « rêveurs » qui ont sacrifié beaucoup pour s’installer aux Etats-Unis, et y faire grandir leurs enfants. Pour ces Camerounais, cette « terre promise » est celle du « tout est possible pour n’importe qui », du travail qui paye, du confort matériel accessible à tous, des déterminismes qui peuvent voler en éclat. Neni « avait attendu trop longtemps pour devenir quelqu’un et à présent, à 33 ans, elle avait finalement atteint, ou était tout près d’atteindre tout ce qu’elle avait toujours voulu dans la vie », à savoir devenir une « femme indépendante « , à l’image des «  Oprah ou Martha Stewart« . Elle, qui a vécu sous le poids des attentes et des conventions de sa famille, pense, enfin pouvoir s’émanciper, sur le sol américain, où il semble permis d’être la personne que l’on rêve.
Le roman de Imbolo Mbue est celui d’une traversée, physique d’abord, mais aussi et surtout d’un désir de traversées socio-économiques et culturelles. Le récit est pour partie autobiographique, puisque l’écrivaine de 33 ans, vient du même village que ses protagonistes, Limbé au Cameroun, et a elle aussi émigré aux Etats-Unis, des rêves plein la tête.
« Le grand espoir des Blancs ? Barack Obama, ou le rêve d’une Amérique daltonienne« . A l’image de ce titre d’un journal évoqué au gré du récit, le délitement du rêve américain se comprend à travers la rencontre, ou faut-il dire confrontation, entre Jende, – toujours appelé par son prénom- et Monsieur Edwards, dont le sien est généralement tu.Les termes d’un rapport de pouvoir ainsi posés. Jende est le chauffeur de Monsieur Edwards, évoluant dans les hautes sphères de Lehman Brothers. Celui-ci travaille trop, néglige sa famille, fréquente des escortes girls, tandis que sa femme, dépressive, sombre dans l’alcool et que l’un de ses fils quitte le foyer familial pour s’installer en Inde et fuir le matérialisme. En regard de cette cellule familiale, apparaissent Jende et Neni, Camerounais immigrés, non régularisés, qui cumulent les petits boulots pour élever leurs enfants dans un appartement sordide de Harlem. A travers ces jeux de miroirs, Imbolo Mbue décrit des rapports de classes et de races excluants, dissimulés derrière le rêve américain tant vendu à l’international via le cinéma, la télévision et autres diplomaties d’influence. Des espoirs d’une réelle rencontre se dessinent parfois entre les personnages, dans des moments de confidence. Mais ils sont si furtifs, qu’ils n’arrivent pas à braver pas les murs construits par l’Histoire et qui s’expriment ici à l’échelle de ces couples. Illustration d’un dialogue impossible, lorsque Neni évoque la pauvreté avec la femme de Cindy Edwards, menacée de déclassement social et économique, celle ci lui répond : « Non vous ne comprenez pas. […]Etre pauvre en Afrique, cela n’a rien d’exceptionnel. Tout le monde ou presque est pauvre là-bas. La honte d’être pauvre n’est pas la même là-bas ». Tandis que Neni, vivant essentiellement au contact d’émigrés subsahariens, ne comprend pas la réalité des Africains-Américains, héritiers de l’histoire longue et traumatique de l’esclavage : « Rien ne pouvait l’embarrasser davantage que des Noirs qui se ridiculisaient en affichant le comportement que les Blancs attendaient. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle peinant tant à comprendre les Afro-Américains – qui n’avaient de cesse de se couvrir de ridicule devant les Blancs, sans pour autant s’en soucier« .
Les fantasmes et les certitudes s’effritent, de part et d’autres des couples au fil du roman. Après la chute de Lehman Brothers et, avec elle, la défaite de leur Américain dream, les failles des Edwards, dissimulées derrière l’opulence, font jour. Pour Jende et Neni, la perspective de ne pas réussir à se régulariser fait, elle, apparaître les limites de leur échappée américaine. Les discriminations à caractère racistes s’immiscent alors : « […] reste dans le gris, protège toi et protège ta famille. […]Voilà le conseil que je te donne et que je donne à tous les hommes noirs de ce pays. La police sert à protéger les Blancs, mon frère. […] Jamais les hommes noirs. Les hommes noirs et la police sont comme l’huile de palme et l’eau » conseille ainsi l’avocat de Jende.
Rapports de classes, de races et aussi de genre sont abordés dans Voici venir les rêveurs. Un premier roman qui, s’il reprend des thématiques maintes fois abordées par la littérature, est apprécié dans la fluidité de son écriture, le croisement des questionnements et la mise en cause renouvelée de cette immigration vers l’Occident, de cette « aventure ambiguë », de ce rêve confronté à une réalité contrastée. Il est question d’identité, d’appartenance dans le mouvement de l’émancipation recherchée par chacun des protagonistes, en quête d’eux-mêmes dans un océan de contraintes. A travers un territoire physique, c’est le territoire intérieur de chacun qui est exploré, une « lutte pour être l’auteur de sa propre carte intérieur« .

(1)Portrait de Imbolo Mbue dans Le Point par Valérie Marin La Meslée : http://www.lepoint.fr/livres/qui-est-imbolo-mbue-la-revelation-de-la-rentree-litteraire-11-08-2016-2060530_37.php
(2)Mohamed Mbougar Sarr dans « Manifeste à mon fils ». Texte publié dans la revue Intranqu’îllités. Juin 2016.
Voici venir les rêveurs. Imbolo Mbue. Editions Belfond. Traduit de l’anglais par Sarah Tardy. Aout 2016.///Article N° : 13718

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