Depuis quelques temps déjà, et c’est sans doute comme ça qu’une tradition s’installe, la France offre à un pays une année pendant laquelle il va pouvoir faire connaître les faces les plus brillantes mais aussi les plus cachées de sa culture. Annoncé et préparé longtemps à l’avance, ce « Temps » permet à des projets spécifiques ou complexes de voir le jour et de s’inscrire dans un ensemble cohérent. Cette concentration ouvre à une forte médiatisation mais est aussi le prétexte d’échanges plus nombreux et diversifiés.
1999 a donc été l’année du Maroc. Et quelle année ! Des expositions, des concerts, des films, mais aussi des colloques et des échanges universitaires. De minuscules instants de bonheur ou de découverte et des initiatives qui s’inscrivent dans le temps. Au total, plus de 200 manifestations à travers toute la France, des grandes villes aux villages ! Des expositions de prestige comme Les Trésors du Royaume (permettant de découvrir les vestiges d’une époque romaine méconnue et la splendeur de certaines broderies) ou Le Maroc de Matisse (cf. Africultures 23) côtoyaient des expositions plus spécialisées, en particulier de photos. Celle de l’Hôtel Sully, Le Désir du Maroc (cf. encadré) mais aussi celle de Gabriel Veyre et celle du musée d’art et d’histoire du judaïsme présentant les photos d’Elias Harrus sur les Juifs parmi les Berbères prouvant une forte intégration rurale de la communauté juive marocaine, avec des traditions « exportées » et conservées après son départ du Maroc. Autre initiative intéressante, celle du musée Albert Kahn de Boulogne-Billancourt. On sait qu’Albert Kahn avait envoyé au début du siècle des photographes dans le monde entier pour constituer « les archives de la planète ». Deux opérateurs partirent au Maroc : Stéphane Passet en 1913 et Georges Chevalier en 1925. Pour jeter un pont entre cette mémoire et l’avenir et grâce à la collaboration du ministère de l’Education nationale marocain, une centaine de jeunes collégiens ont à leur tour photographié les mêmes lieux.
Il faudrait dire encore l’émotion ressentie à l’écoute des femmes de la tribu des Aït Abdellah, près de Tafraout, masquées d’un long voile blanc ondulant comme un serpent et dont on ne voyait que les mains claquer en rythme et les jambes drapées de blanc marteler le sol
ou le plaisir de redécouvrir les musiques judéo-marocaines et arabo-andalouses avec Rabbi Haïm Louk ou Samy Elmaghribi. Il faudrait dire que ce pays que l’on croit connaître reste plein de surprises. Au-delà du folklore, il vit de ses traditions mais aussi d’une modernité dont témoigne la vitalité de ses créateurs. Sans doute sa position géographique à l’extrême de la Méditerranée et de l’Afrique lui a-t-elle permis de rester fermé, quasi inviolé, « véritable Tibet de l’Afrique » pour reprendre l’expression de Daniel Rondeau. Mais elle lui a aussi permis d’être le pont, à travers l’Espagne si proche, entre l’Orient et l’Occident et de réussir ainsi à garder son âme tout en intégrant les cultures de ses hôtes de passage, fussent-ils chrétiens ou juifs.
Le Maroc et la France partagent avec l’Espagne la particularité d’être baignés par la Méditerranée et l’Atlantique : le jeune roi Mohamed VI rappelait dans sa thèse de doctorat en Droit passée à Nice que cela crée un axe privilégié entre Paris, Madrid et Rabat.
L’année du Maroc est achevée (certaines expositions durent encore, même jusqu’en juin comme au Musée Albert Kahn ou à Grenoble), mais il reste livres, disques et catalogues et surtout l’envie d’aller redécouvrir ce pays, sa lumière, ses paysages et surtout ses habitants d’une légendaire hospitalité.
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