Bande de quoi ?

Print Friendly, PDF & Email

Après deux longs-métrages sur l’identité, la féminité et la construction de soi, Céline Sciamma achève sa trilogie en filmant quatre jeunes filles noires dans une vision clichée, d’une Bande de filles des quartiers. Et reçoit les éloges du cinéma français.

« Des lascardes qui flanquent le souk dans le métro mais pas que » (Slate.fr). « Ces gamines des cités » (Le Monde). « Les 4 racaillettes de Bande de Filles » (Le Nouvel Obs). « Des Beattles meufs et blacks de cité » (Les Inrockuptibles). Voici, en quelques phrases, l’image à la française de ces filles noires vivant à la périphérie de la capitale française présentées dans le dernier film de Céline Sciamma.

Un film tout ce qu’il y a de plus maîtrisé en terme de cadrage, de lumière, de mise en scène et de direction d’acteurs, comme la réalisatrice nous y avait habitué avec ses précédents films La naissance des pieuvres (2007) et Tomboy (2011), diptyque sur l’identité, l’acceptation de soi et la découverte de la sexualité.

Mettant en scène quatre belles actrices novices que sont Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh et Mariétou Touré (ainsi que deux acteurs montants pour l’instant cantonnés à des seconds rôles que sont Idrissa Diabaté et Rabah Naït Oufella), Bande de filles a fait sensation sur la Croisette en mai dernier et bénéficie d’une très belle publicité, en attendant son entrée dans la course aux César – qui, pour sûr, sera récompensée.

Qu’une jeune fille (Karidja Touré, révélation féminine 2014 du magazine ELLE), oppressée par son environnement, décide de rejoindre un groupe de filles qui dictent leurs lois et dansent sur Rihanna passe encore. Qu’elle tombe amoureuse d’un gars du quartier qui, pour ne pas passer pour un « canard« , est obligé de cacher ses sentiments fonctionne également. Que sa mère soit femme de ménage dans des bureaux s’explique à la rigueur par la prépondérance de personnes de couleur à ces emplois en France. Mais que son frère la tabasse sans aucune raison, qu’on lui demande de passer une perruque blonde pour aller dealer (le B.A.B.A. du vendeur de drogue n’est-il pas de se faire discret ?) et que son groupe de filles vole des robes et se bastonne conforte le cinéma français dans l’image déjà peu glorieuse qu’il a de ses minorités.

Il est d’ailleurs assez amusant de noter qu’à l’engouement d’une critique médiatique uniforme pour ce film ressorte un ras-le-bol et une grande déception d’un public notamment « issu des minorités » : « Fatou la Malienne, Samba, Bande de filles, Cité rose… mdr la France vous vend du rêve mes négros« , publie ainsi LeCritiqueur sur Twitter. « Le film « Bande de filles » vu le résumé, ça va encore plus stigmatiser les filles noires, comme quoi on fait du boucan, on est sauvages« , twitte quant à elle Nihahsah. « Énorme déception !!! Des poncifs aussi longs que les tissages des protagonistes, des interactions dépourvues d’une once de crédibilité comme la scène de l’héroïne qui dépouille une collégienne, des mots mis dans sa bouche qui sonnent fake à mort !« , s’emporte Jamel Zaouche sur Facebook.

Que dire donc de l’attente imprévisible qu’a créé ce film dans l’Hexagone ? L’attente, l’envie, de voir des Noirs à l’écran. Des filles belles, souriantes, qu’on a envie d’aimer et de regarder. Que dire de l’élan critique et médiatique qui entoure ce film ? Que la France a besoin de se rassurer en regardant des personnages dont le déterminisme social ne mettra personne en danger. La pauvre, dans sa cité, se faire tabasser par son frère, devoir faire le ménage avec sa mère, voler des robes et sécher les cours ! Qu’on ne nous ressorte pas le couplet habituel qu’il « n’y a pas d’actrices noires en France « . Combien de comédiennes attendent patiemment qu’on leur offre un rôle à la hauteur de leurs compétences ?

Une fois de plus, le cinéma français s’enferme dans une vision quasi-ethnographique de ces « jeunes de quartier » (condamnés à être jeunes quel que soit leur âge) que l’on aime disséquer, observer, mais qu’on n’écoute pas parler. Quand donc des films de la nouvelle génération de cinéastes, cette Double Vague composée d’auteurs nés en France de parents venus de l’étranger, trouvera-t-elle sa place sur les écrans français ? Quand donc présentera-t-on des rôles de Noirs intelligents, talentueux, dont le personnage n’est pas conditionné par des origines culturelles ou une image figée ? Qui ira écouter le flow de KT-Gorique dans Brooklyn de Pascal Tessaud, les dialogues sans langue de bois de Ghetto Child de Guillaume Tordjman et Uda Benyamina, les films à venir de Maimouna Doucouré et Josza Anjembe ? Qui comprendra que les acteurs « issus des minorités » sont influencés par Lino Ventura et Jean Gabin ? Ces acteurs d’une époque révolue où les dialogues et les attitudes faisaient encore rêver ?

Il faudra sans doute attendre le prochain film d’Alice Diop pour que le public et les professionnels prennent conscience de tout le potentiel dont bénéficie cette génération. A l’image de son documentaire La Mort de Danton où l’acteur Steve Tientcheu rompait avec «  les statistiques du déterminisme social » pour devenir comédien et se trouvait confronté « à un certain type de rôle et de carcan » dont il avait du mal à se libérer. Espérons que les actrices de Bande de filles pourront dépasser cela. Et que le film de Céline Sciamma ouvrira les yeux de l’industrie sur le potentiel créatif « bâillonné » qui existe dans ce pays.

Un autre regard : Lire la critique d’Olivier Barlet sur Bande de filles ///Article N° : 12501

  • 3
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
© Pryamide Distribution
© Pryamide Distribution





Laisser un commentaire