Événements

Retours du colonial ?
Colloque organisé par l’Association Internationale de Recherche sur les Crimes contre l’Humanité et les Génocides

Français

Ce colloque a pour ambition de mettre en perspective la politique de l’Etat français à l’égard des territoires et populations issus de ses anciens territoires coloniaux, les analyses et recherches consacrées à ces questions, et les idées qui circulent à ce sujet dans l’opinion. En cette année 2006 dédiée à la « francophonie », on veut comprendre pourquoi les débuts d’une reconnaissance de la violence coloniale s’accompagnent, en France, d’une certaine résurgence de l’idéologie coloniale. Que celle-ci prenne des formes déguisées et diffuses, ou violemment réactives, comment peut-on interpréter ce « retour » paradoxal ? Que signifie l’idéologie coloniale à l’époque de la « post-colonie » ?

S’agit-il d’un système de négation prévisible dès lors qu’un nouveau savoir se constitue, ou d’une normalisation de faits dorénavant connus, disant que la violence a bien eu lieu, mais qu’elle était légitime et nécessaire, entérinant la réalité d’une domination et d’un racisme persistants? Comment interpréter cette fragilité et cette puissance à la fois du discours colonial ?

La multiplication des récents travaux consacrés à l’histoire coloniale, et l’ouverture de l’enseignement des littératures francophones aux post-colonial studies, font que l’après de la colonisation s’impose peu à peu à nos consciences comme un après de la violence extrême. Le discours politique s’en ressent. Il ne fait plus problème d’évoquer la « guerre d’Algérie », et nos représentants expriment leurs plus « vifs regrets » pour le massacre de Sétif. Mais parallèlement un texte de loi, à la faveur d’une mesure de reconnaissance des supplétifs de l’armée française comme anciens combattants, a voulu contraindre les enseignants d’histoire à « enseigner de manière positive la présence de la France dans ses colonies et en Outre-Mer ». Comment comprendre ce double discours politique français, qui s’excuse mais affirme au détour d’une loi qu’il n’y a pas de quoi ?

Les remous suscités par cette loi du 23 février 2005, tandis que la crise des banlieues et la politique d’immigration du gouvernement suscitaient de nouveaux mouvements protestataires, ont conduit à sa suppression par Jacques Chirac. Mais ils ont engendré d’autres confusions, qui ont contribué à noyer la question dans des guerres identitaires souvent mal inspirées, et des débats d’historiographie mêlés de corporatisme. La protestation du corps enseignant contre cette intrusion de l’Etat s’est accompagnée d’une mobilisation d’historiens contre les lois dites « mémorielles », au prix d’amalgames pernicieux avec la loi Gayssot (1990) et la loi de reconnaissance du génocide arménien (2001). Le débat nécessaire sur les attendus de cette loi se voit ainsi hypothéqué aujourd’hui par des simplifications outrancières et des crispations polémiques toxiques et stériles.

Il nous semble donc nécessaire de revenir à la question coloniale et d’étendre différemment la réflexion : au-delà de cette loi et des réactions qu’elle a suscitées, il faudrait revenir à ce qui l’a rendu possible cinquante ans après Sétif.

Cette loi participe en effet d’une longue suite d’occultations et d’interdictions concernant l’histoire et la critique du colonialisme français, devenues constitutives des études francophonistes et africanistes. Il s’agit donc d’accompagner sur un mode critique la décomposition politique de cet édifice, et d’interpréter les formes de cet énorme point aveugle, qui, devenant aujourd’hui visible à la fois dans le champ du savoir, de l’art et de l’opinion, provoque de si violents rejets.

Les débats actuels montrent que la France, concernant son histoire coloniale, est habitée d’une convulsion singulière. En déchiffrer les figures permettrait d’avoir une meilleure compréhension du fait colonial et de ses suites, et de conduire une réflexion critique sur ce qui s’est constitué et perpétué à partir de la relation coloniale, aux plans politique, économique et culturel à la fois.
Quelle conception de la culture française, quel rapport à la langue se trouvent-ils impliqués là ? Comment comprendre l’idée de vouloir corriger « les dialectes » des enfants de la postcolonie, niant par là même ce que ces « dialectes » ont apporté et apportent encore à la langue française, à son histoire et à sa littérature ?

Que nous disent donc les débats actuels de l’Etat français, mais aussi de la société et de la culture françaises ? Que nous disent-ils des limites de la lutte anticolonialiste telle qu’elle s’est développée depuis les indépendances, tant en France que dans ses anciennes colonies? Que nous disent-ils du tournant « postcolonialiste » dans les études consacrées au devenir culturel de cette aliénation ? Et que nous disent la culture et la littérature françaises aujourd’hui du rapport de la France à ses anciens colonisés ?

A l’aune d’une année qui célèbre les cultures francophones dans leur diversité et richesse, on peut s’interroger sur la manière et les enjeux dont la France envisage dorénavant la construction de son identité. Sans un tel retour sur soi, comment répondre aux dérives identitaires ou racistes que connaît parfois le langage anti-colonial, en particulier en Afrique francophone (manipulations de l’ « ivoirité »). L’ironie des revendications « indigènes » ne risque-t-elle pas elle-même, sous prétexte de se réapproprier l’histoire, de reconduire et aggraver les procédés d’enfermement des mouvements de « négritude » ?

A l’inverse, que nous disent les auteurs, trop souvent rangés dans les rayons d’une littérature ou d’un cinéma « engagés » ou « ethniques », de cette construction et de ce phénomène de retour ? et de ce brouillage des codes où l’anticolonialiste n’est pas forcément celui qu’on croit ?

C’est à ces questions que tentera de répondre ce colloque. Loin de vouloir perpétuer la distinction entre peuples colonisés et colonisateurs, il s’agit de comprendre comment les « mémoires » se sont clivées par des constructions de représentation cloisonnées. Et pourquoi leur inventaire, à peine esquissé, reste encore inaccessible aux chercheurs et aux individus.
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