A la mort de ses parents, Hôr, un jeune Peul, quitte son village pour Dakar. Il y rencontre Tierno et Désiré, qui se débrouillent pour survivre en alliant récupération dans les ordures, trafics et rapines. Hôr refuse de voler : son père lui a légué une flamme qu’il ne peut trahir
Hôr est ainsi un ange au milieu des démons, conscience révélatrice d’un pays à la dérive. Le film, tourné avec les enfants d’une association créée par le réalisateur pour l’occasion et bien sûr acteurs non-professionnels, cherche à éviter toute vision misérabiliste tout en dressant le terrible constat de la violence à l’oeuvre dans les grandes villes africaines. S’il échappe à la sensiblerie, c’est en faisant passer le romanesque avant le regard documentaire. C’est aussi en restituant l’expérience première de tout Occidental en terre africaine : la rencontre de gens qui, dans la plus crasse misère, ne sombrent pas dans la désespérance mais développent au contraire joie de vivre et détermination. L’espoir qu’ils portent et leur désir de vivre font tomber bien des écailles et relativisent toutes les plaintes de riches.
Libre est ainsi un film généreux où chaque personnage existe à part entière, y compris le médecin incarné par Richard Bohringer, expression de l’ambiguïté humanitaire, contradictoire entre sa volonté de solidarité et sa propre recherche individuelle de réparation personnelle. Il est en fait malgré lui typique de la démarche et de la genèse du film : l’Afrique comme outil de régénérescence pour les Occidentaux paumés. Et même lorsque Hôr tombe, il acceptera de laisser ce qu’il qualifierait de superstitions écarter son rôle de médecin, comprenant que même s’il n’y croit pas, l’essentiel n’est pas là mais dans le fait qu’elles représentent une morale de vie.
Certes, l’Afrique a par son propre vécu un formidable message d’humanité et d’espoir pour le monde. Mais il ne s’agirait pas non plus de l’y enfermer. On retrouve un peu ce discours chrétien face aux handicapés et à la douleur en général : ils nous permettent par leur humilité et leur volonté de dépasser notre individualisme et notre repli sur soi, de voir ce que nous ne voyons pas et de nous réformer. Mais percevons-nous en quoi toujours ramener l’Afrique à ce rôle tend à l’enfermer une fois de plus dans un rôle mineur ? C’est en ce sens que le cycle « Regards noirs » est intéressant : il propose aussi d’autres voix, d’ascendance africaines celle-là. Non qu’il faille défendre une légitimité qui exclurait, sous prétexte d’appartenance identitaire garante d’authenticité, tout regard extérieur. Simplement parce qu’elles nous proposent un autre regard, une autre compréhension, une dimension supplémentaire qui manque si elles ne sont pas présentes. Des voix qui par leur conscience nomade dans leur exploration des déchirures de la modernité viennent subvertir de l’intérieur notre vision du monde.
2002, 1 h 34, prod. Arte / Rougemarine, avec Charles Correa (Hôr), Mamadou Tall (Tierno), Siradiou Dia (Désiré), N’Deye Sirra Biteye (Astou), Adama Kouyaté (le griot), Maurice Sonar Senghor (le juge), Khaly Diakhaté (Malick) et Richard Bohringer (le médecin).///Article N° : 2450