Fiche Livre
OUVRAGE COLLECTIF | Juin 2014
Engelbert Mveng, Chantre de la libération du Muntu.
ISBN : Cameroun ISBN : 978-
Dewey : Sciences sociales
Pages: 288
Prix : 12.00
Parution : Juin 2014

Français

Une relecture plurielle de son œuvre. (F.X. Akono, dir.)
Engelbert Mveng, Chantre de la libération du Muntu. Une relecture plurielle de son œuvre. (F.X. Akono, dir.), Presses de l’Université Catholique d’Afrique Centrale, Yaoundé, 2014.

 

Figure pionnière de la recherche intellectuelle en Afrique, Engelbert Mveng est honoré dans cet ouvrage collectif qui lui est consacré. L’itinéraire singulier de ce traceur de sillons se nourrissait d’érudition ancrée dans un amour de l’Afrique. D’aucuns l’ont considéré d’Africo-phile. L’amour de l’Afrique a par conséquent poussé Engelbert Mveng à côtoyer plusieurs contemporains portés par la volonté de restaurer la dignité africaine. C’est ainsi qu’il s’est lié d’amitié avec d’autres historiens, Ki-Zerbo, Cheikh Anta Diop, etc. Artiste, il a co-organisé plusieurs fois le Festival des Arts Nègres de Dakar et celui de Lagos en 1977 où il fut Secrétaire Général. Ami, de Senghor, il était soucieux d’une poésie qui chante la vie et l’amitié avec les peuples frères du Monde. L’itinéraire de Mveng est son appartenance à la Compagnie de Jésus. Il s’est surtout distingué par la  fondation,  à la fois d’un Collège secondaire et d’une esquisse de congrégation religieuse dénommée les Béatitudes. L’ouvrage qui paraît une année avant la commémoration des 20 ans de son assassinat n’est pas biographique. Comme l’a mentionné le préfacier, Yvon Christian Elanga, sj.,  ce serait une biographie à plusieurs voix. Telle n’est pas l’intention qui a animé les auteurs. En effet, chacun, dans un parcours de relecture a  choisi quelque aspect de la pensée de ce pionnier de l’histoire, de l’art, de la poésie et de la théologie africaine.

C’est pourquoi 3 axes majeurs regroupent les commentaires et les analyses critiques. Le premier niveau de lecture offre une présentation détaillée d’une variété thématique : « Arts, poésie, conception africaine de l’homme et démocratie ». Julien Ndongo, sj, médite sur l’inscription de la chromatique noir (épreuve) ; rouge, (vie) ; blanc (mort) comme l’indice vital d’une pratique de l’art chez Mveng. Cette chromatique l’aura suivi jusque dans sa mort. Toutefois, selon Mveng, et nous le citons, « J’ai voulu que l’art africain prenne sa place dans la vie moderne, dans l’architecture, dans l’habillement, dans l’Église, dans la prière, car son absence signifierait notre absence, l’annihilation définitive de l’Afrique des profondeurs. Si je n’ai pas réussi, du moins quelques oeuvres survivront, et l’art m’aura permis de nouer le dialogue avec le reste du monde » (Mveng, cité par Messina 2003, 170).

Dans sa présentation, Joseph-Marie Ndi-Okalla  intitulée, « P. Engelbert Mveng sj : Pour une iconologie chrétienne africaine symbolico-narrative »,  se questionne en ces termes : quel intérêt Mveng avait-il à peindre les arts sacrés dans une perspective africaine ? Ce labeur qui fait le lien entre Art Nègre et Art chrétien est un véritable chemin d’inculturation. Il est cependant à noter que l’inculturation ne doit pas éluder les questions pressantes liées aux problèmes sociopolitiques traversés par le continent africain. C’est ainsi que Constantin Yatala Nsomwe s’intéresse à l’examen de la conception de la démocratie chez Engelbert Mveng, en contexte africain.

 

Hermann-Habib Kibangou, sj. par une mise en relief de la centralité du concept de paupérisation anthropologique, chemine à travers les œuvres de Mveng et nous présente succinctement la manière de comprendre ce concept phare qui met l’humanité africaine en péril devant les ravages de la crise économique.  Annihilation et paupérisation anthropologique sont du reste des concepts qui permettent une relecture critique des moments de la traite négrière, de la colonisation, et des Etats postcoloniaux. Tels sont les enjeux d’une théologie de la libération au service de l’homme africain.  

Jules Wollo  et Marthe Angèle Limbaime quant à eux veulent comprendre en quoi le contexte africain a inspiré la manière d’écrire la poésie chez Mveng. Ils s’attèlent donc à dégager ses sources africaines et son ouverture à l’universel.  Les auteurs notent, dans Balafon « la constance dans cette œuvre de la thématique du refus, le refus de l’hégémonie occidentale et de ses corollaires : esclavage, colonisation, duplicité. La condamnation sans ambages du stéréotype de la sempiternelle mission civilisatrice de la race blanche, mais aussi la critique caustique de la rebelle et navrante torpeur de l’Afrique pauvre continent riche sont aussi évoquées comme indices de l’appartenance de Balafon à la négritude. Cet ancrage est enfin corroboré dans notre analyse par la promotion dans Balafon d’un ordre mondial nouveau marqué par la paix, la fraternité et l’amour. » L’ancrage africain de Mveng a parfois influencé sa vision essentialiste de la femme. C’est ainsi que Joseph Loïc Mben revisite les lieux où Mveng évoque la femme autant dans les œuvres artistiques, les  écrits théologiques  et  poétiques. La figure de la mère, de la sœur, côtoie surtout une vision de la femme axée sur les phases de reproduction et domestiques.

La deuxième partie, est intitulée « Théologie, Bible et vie consacrée », offre trois textes. Folifack Aurelien Conrad, sj. scrute la manière dont Mveng approche la Bible à partir du contexte africain. L’africanité de Mveng intervient également dans sa volonté de fonder une congrégation d’inspiration religieuse d’inspiration africaine. Tel est le thème de réflexion porté par le propos de Sœur Billy L. Biameyo. Pour elle, la religieuse et le religieux africain doivent   garder leur  identité, et leurs repères éthiques et spirituels pour ne pas verser dans l’aliénation. En outre, le propos du théologien Nazaire Abeng, souhaite revenir sur les questions du racisme en Amérique Latine où les Indigènes et les descendants d’Africains subissent des injustices, ce parfois, même au sein de l’Eglise. Justement,  examinant la rencontre entre les éléments culturels africains et leur mise en relation avec le christianisme, Joseph Loïc Mben, sj,  perçoit comment Mveng évite de tomber dans une forme de syncrétisme. Son analyse de la prière chez Mveng conduit le lecteur aux sources africaines et chrétiennes de l’élan de l’âme vers le divin.

La Troisième partie :  « Histoire et destinée africaine »  analyse  l’apport de Mveng en matière d’épistémologie de l’histoire. A cet égard, Jean Luc Enyegue  examine comment Mveng  est resté  fidèle à la critique historique et y a intégré des éléments tels que la tradition orale, l’art et l’archéologie ; en outre, il a ouvert l’histoire aux questions spirituelles et poétiques en ouvrant ainsi l’historien aux questions relatives à la transcendance. Sur la même lancée, Nicolas Ossama médite sur le métier d’historien de Mveng. A cet effet, en trois points, il examine le statut de Mveng,  Le professeur d’histoire universitaire ; quelles ont été les circonstances  mais aussi les conditions de cette situation ;  et pour finir, il questionne l’œuvre d’histoire de Mveng. Comment Mveng écrit-il l’histoire et comment pense-t-il l’histoire africaine dans son rapport avec la Grèce Antique ? Ces deux questions orientent la relecture des modalités de rédaction de l’histoire chez Mveng tel que le relit François Xavier Akono. La monumentale Histoire du Cameroun et la thèse sur Les sources grecques de l’histoire négro Africaine depuis Homère jusqu’à Strabon ont été mises en évidence afin de justifier la manière d’écrire l’histoire chez Mveng. La destinée humaine qui met aux prises les forces de vie et celles de mort est mise en poèmes par Médard Sané. Le poète relit de manière critique la postcolonie et son élan politique mortifère. Pour contrebalancer cette nécropolitique, il est optimiste ; et dans ce sens,   Jacques Fédry, à la suite d’une présentation sous la forme de points de méditation, offre un schéma de la peinture d’Hekima College où Mveng contemple le Christ élevé de Saint Jean.

L’ouvrage se termine par une bibliographie assez détaillée des ouvrages de Mveng et des monographies qui ont été déjà rédigées sur sa pensée.  Quelques pistes ultérieures méritent d’être approfondies : une analyse de la poésie de Mveng, une critique de sa conception de la paupérisation anthropologique, sa peinture, son apport liturgique par le vêtement africanisé,  ses propos courageux sur la place du mythe en philosophie, sa relecture des mythes africains, l’inculturation examinée théologiquement, voilà autant de pistes ouvertes à des approches complémentaires. L’ouvrage a voulu donner le goût de lire Mveng aujourd’hui. A-t-il réussi son pari ? En toute impartialité, au lecteur de se prononcer !

Julie Bibeme,

KINSHASA-RDC

 

Partager :