En mai-juin-juillet 2006, Mohamed Rachdi a convié dix-sept artistes femmes à intervenir dans un dispositif plastique qu’il a construit dans l’église Notre-Dame de Montataire (Oise, France). Outre un parcours visuel et textuel de l’exposition dont la thématique centrale est le désir, s’entrecroisent dans cet ouvrage différents thèmes : origine et mémoire, identité et altérité, artiste et commissaire, pratiques individuelle et collective, fiction et réalité…

« Il y a eu d’abord Escales (installation montée à l’Espace Paul Mayer, Amiens, octobre 2000), ensuite les Dunes du désir (à l’Espace Culturel François-Mitterrand, Beauvais, juillet-août-septembre 2001). J’ai réactivé ces deux dispositifs plastiques à plusieurs mains en réalisant une œuvre intitulée Les Puits du désir dans l’église Notre-Dame de Montataire sur la période avril-mai-juin 2006.

Dans les premières versions, l’espace de l’exposition était métamorphosé en un désert graphique jalonné d’oasis fictionnelles. Relançant, à l’échelle de l’espace architectural, la mémoire iconographique consignée dans un manuscrit du XIIIème siècle (la fameuse miniature d’al Wâssitî représentant un troupeau de dromadaires), ces installations étaient intimement articulées avec l’espace de l’exposition. Elles s’y déployaient en territoires graphiques qui offraient des parcours d’écritures interminables. Des mouvements travaillant constamment à entraîner les déplacements du visiteur dans la dynamique de leur déploiement rythmique noir et blanc ponctué ici et là, comme autant de dunes de sable, par des reliefs et des creux où poussait une profusion d’éléments formels, chromatiques et lumineux : véritables spectacles de fables plastiques dont le thème récurrent était le désir. Et qui ne sont rien moins que celles qui y sont inventées par les artistes invités. En œuvrant ainsi en son sein et en l’ouvrant sur leurs propres univers, mes convives fécondaient mon territoire artistique, le fertilisaient et le vivifiaient en y apportant chacun les richesses de sa culture personnelle et les perspectives de son imaginaire.

La nouvelle version, Les Puits du désir, se présente comme une suite logique des premières, mais sous une tout autre forme. En effet, le visiteur entrant dans l’église de Montataire découvre une installation artistique contemporaine d’apparence minimaliste. Poussant de la terre tels des troncs d’arbres en amplifiant le rythme hypostyle du monument, le dispositif de cette installation investit la totalité de l’espace de l’église en y distribuant des volumes élémentaires : de simples cylindres en tôle qui se détachent par la froideur industrielle de leur grisaille argentée sur la chaleur minérale des ocres jaunes et autres nuances naturelles de la pierre taillée. Dès que le visiteur s’approche d’un cylindre, le volume métallique se métamorphose en margelle de puits qui le maintient, pour ainsi dire, en marge d’elle. Elle ? Chacune des dix-sept artistes femmes que j’ai conviées afin d’investir l’intérieur d’un cylindre, de déployer en son puits les délires poétiques de sa propre création artistique sur le thème essentiel, universel et sans doute au fondement de tout acte artistique, sinon de tout acte humain : le désir.

Le dispositif Les Puits du désir a pour objectif de transfigurer l’intérieur de cet édifice cultuel et culturel en un espace de délices sensuels partout animé du souffle d’Éros.

Partout l' »O » circule dans cette Œuvre à trente-six mains, partout des Ouvertures s’y Organisent en échO à l' »O » de l’Origine – de l’Origine du monde de Gustave Courbet aussi bien, naturellement ! – ; en écho à l' »O » – mais aussi à  » l’EAU « , bien sûr, à ce flux de vie et de régénérescence – de l’Oasis primordiale ; en échO à l' »O » de la circonférence de l’Œil du puits qui invite le regard du visiteur à plonger à travers l’Orifice de son volume cylindrique (tout à la fois creux et reliefs) ouvrant sur l’abîme sans fond de l’altérité, sur ce qui me hante depuis toujours et me fait agir, sur le mirage insaisissable en moi et en l’autre… ; mais aussi, en échO au cri du « O » du Où en quête permanente de son éternel lieu atopique à travers des étendues utopiques…

Origine, Oasis et Femme ont toujours habité mes œuvres. Ces figures, constamment présentes mais sans cesse fuyantes, se chevauchent en effet et interfèrent continuellement dans mon activité artistique. Elles en représentent tout à la fois le motif et le moteur, la référence et l’énergie qui l’anime dans l’errance de ses investigations créatrices…

À l’origine donc autant qu’à l’horizon de mon activité créatrice : le féminin. Aussi, en déployant Les Puits du désir au sein de Notre-Dame, sous le témoignage de ses voûtes architecturales et l’élégance de leurs courbures répercutant en leur plastique l’écho mnésique des palmes originelles, je saisis l’occasion idéale de célébrer le féminin dans les figures de sa création, sa puissance et sa force aimantes, ce qu’il représente pour mon existence et mon œuvre, la passion de sa démence et le bonheur de son désir en moi agissants…

Les Puits du désir est aussi pour moi un moment magnifique à saisir afin que je cultive, épaulé par mes convives, une œuvre comme un jardin sensuel autant que spirituel partout irrigué du flux érotique. Un jardin à vivre comme un hommage à la mémoire fertile du fou de Nitham, à l’intuition visionnaire d’un être inspiré et aimanté par l’Amour du Désir Éternel à partir de l’éblouissement face à l’éclat du visage de la belle, un hommage au grand maître soufi Mouhy Eddine Ibn ‘Arabi qui a su, par-delà toute attitude dogmatique, prendre le chemin de l’exil créateur en épousant la voie de la mystique et de l’expression poétique et plus singulièrement la voix du féminin en elle, convaincu qu’elle est seule vraiment capable de doter d’ailes d’Éros l’imagination créatrice… »

Convives des Puits du désir (artistes) :
Az-In & Mo, Elodie Barthélemy, Maryline Beauplet-Dornic, Delphine Bloc, Gaële Braun, C. Béatrice, Tatiana Cruz, Claudie Dadu, Claire Dignocourt, Geneviève Guétemme, Agnès Gomez, Natalie Lamotte, Daphné Le Sergent, Cécile Massart, Laurence Medori, Dominique Renson, Lynn Schwartz.

Convives des Puits du désir (auteurs) :
– Conférences et textes : Nicole de Pontcharra, Jean Lancri
– Textes : Alain Chareyre-Méjan, Geneviève Guétemme
– Entretien : Christophe Tesson.