Murmures

Hommage à Docteur BAH
avril 2021 | Décès de personnalités culturelles | Littérature / édition | Guinée

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Docteur Bah ou l’incandescence personnifiée !

 

Elle persiste ma douloureuse impression que le chapelet de la Grande Faucheuse s’égrène avec une réelle complaisance pour rappeler à Elle de façon toujours prématurée les personnalités guinéennes parmi les plus valeureuses !

Sentiment à relativiser, bien sûr, compte tenu du nombre de nos compatriotes pas célèbres ou seulement dans les limites de leurs familles, de leurs quartiers ou, au mieux, de leurs villes qui décèdent tous les jours. Mais, c’est bien Docteur Bah qui s’est éteint dans un hôpital… d’Abidjan en ce mois de janvier 2021 !

Et, combien l’expression est, pour une fois, adéquate ! Car à l’évocation de son nom : Docteur Bah Thierno, Docteur "Bah de Cocody" – quartier résidentiel d’Abidjan où il a élu domicile dans les années 70 alors qu’il était Médecin Chef de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale de Côte d’Ivoire, on est aussitôt ébloui par l’incandescence, l’effervescence et la phosphorescence personnifiées. Tant brillait le médecin psychiatre de son état, … psycho-théra-psycha-pédago-socio-philosophe, me permettrai-je de lui décerner un parchemin supplémentaire à multiples unités de valeurs en guise d’attestation de ses nombreux acquis obtenus aussi bien dans l’exercice de son métier que dans ses relations avec ses compatriotes, exilés comme lui ou demeurés au pays.

L’homme avait la pensée active et rayonnante et c’est parfois lui faire injure que de le qualifier d’hyperactif ou d’activiste. On l’assimile, ce faisant, à la pléthore d’"universitaires" ou de syndicalistes africains ayant fait profession d’activistes à l’étranger jusqu’à accéder au pouvoir chez eux pour, aussitôt, en user et abuser à des fins personnelles sinon ethnocentristes.

Je n’ai pas connu Docteur Bah en Guinée à Labé, notre ville natale, où nos familles entretiennent, elles, des relations respectueuses. Et, sans évoquer les questions relevant du domaine matrimonial, je ne saurai m’empêcher de signaler que mon maître d’école coranique, mon initiateur à l’écriture des lettres arabes, facile à reconnaître dans cet extrait de mon poème – "La plume salvatrice" du recueil "Pourquoi diable n’ai-je pas été… un poète ?" éditions NDZE 2010 – était de sa famille : un des grands érudits du Fouta Djallon !

 

"Moments d’incertitude,

Menacent les affres de la Solitude.

Du papier blanc sous les yeux de mon vague à l’âme.

Entre les doigts, de mon marabout, le célèbre calame.

Trempé dans l’encre, il calligraphie

Et remplit, dans une géographie

D’équilibre, maints espaces sûrs.

Telle bonne sourate me rassure,

Une autre chasse ma peur,

Une fouette mon ardeur…"

 

Un "petit écart d’âge" existe entre Docteur Bah et ceux de ma génération. Lui a dû s’exiler dès 1961. Soit dix ans avant nous, suite à la grande grève des enseignants, des élèves et des étudiants en 1960. Comme la plupart des intellectuels guinéens et africains frais émoulus d’universités françaises qui ont milité pour l’indépendance immédiate de la Guinée et ont accouru à son secours, il s’était vite trouvé persécuté. Première des forfaitures qui allaient jalonner la future Révolution globale et multiforme guinéenne. Faucheuse encore plus Grande et brutale que l’Ordinaire, oublieuse qu’il avait fallu de toute urgence remplacer administrateurs, cadres et techniciens français rappelés en France par le Général De Gaulle ou redéployés dans les pays favorables à la communauté franco-africaine. Pour punir la Guinée d’avoir eu l’outrecuidance de choisir son émancipation à l’issue du Référendum du 28 septembre 1958 !

La disparition de Docteur Bah Thierno fait émerger quelques souvenirs de sa fréquentation à des moments cruciaux de notre exil en Côte d’Ivoire et en France.

Les réunions régulières aux lendemains tragiques du 22 novembre 1970 avec des pendaisons publiques à Conakry et dans plusieurs autres villes guinéennes de membres dits de la Cinquième Colonne, consécutives au débarquement à Conakry d’opposants politiques appuyés par une logistique portugaise. Ce, avant même mon élection comme membre du bureau de l’Association des Étudiants Guinéens en Côte d’Ivoire au poste de secrétaire général.

Il a fait partie "de ces Guinéens déjà diplômés et expérimentés sur le plan professionnel", aux carnets d’adresse précieux : "médecins, avocats, pharmaciens, hommes d’affaires"… qui nous ont été d’un concours appréciable pour obtenir des aides du gouvernement ivoirien et de la représentation culturelle française puisque nous ne pouvions pas être boursiers de notre pays. Ainsi la plupart d’entre nous étaient-ils obligés, moyennant des salaires pas toujours payés à temps et souvent même pas payés du tout, d’exercer un travail quelconque au détriment de la Fac. Il est "de ceux qui nous ont fait espérer qu’en réussissant nos études supérieures dans les conditions difficiles qui étaient les nôtres, nous parviendrions à intégrer la vie active dans différents domaines au pays de notre exil forcé. La meilleure façon de nous mettre en réserve pour servir la Guinée post-pseudo-révolutionnaire"…

Éprouvions-nous par moments un début de découragement, une certaine lassitude ? Docteur Bah était "à notre chevet" pour nous rassurer et encourager :

 

— Dans le milieu des exilés, elle est normale, la petite dépression en fin d’année. Tenez bon, nous passerons en Guinée les prochaines fêtes de Noël et du Nouvel An !

 

Lui-même ne reviendra sur sa terre natale qu’après la mort du Chef Suprême de la Révolution le 26 mars 1984. Moi, après un premier "pèlerinage" par avion en juillet, je tenterai en voiture le retour définitif. Je me trouverai à Kankan le… 24 décembre et pourrai fêter le Nouvel An… 1985 à Labé parmi les miens !

 

En plus d’avoir été l’un des visiteurs de la Cité Mermoz, le "campus emblématique des étudiants guinéens en Côte d’Ivoire" dans les années 70 dont je raconte les dures conditions de vie et d’études dans "Orphelins de la Révolution" et que j’ai rappelées au décès d’un autre compatriote ancien exilé, Docteur Bah, lui, avait, de surcroît, sa porte ouverte à tous et le couvert offert.

J’ai, par ailleurs, le souvenir de quelques-unes de ses visites lors de mon stage à Jeune Afrique en 1993. Chef de Service de Santé Publique à Melun, c’est plutôt en tant que Délégué général du Parti de l’Union pour la Nouvelle République dont il a été membre fondateur qu’il a éclairé ma lanterne à chaque occasion sur les multiples objectifs et actions de son Mouvement. Et à titre personnel, sur son travail avec le groupe parlementaire français Amitié France-Guinée, sur ses idées pour le mieux-être des Guinéens et son exaspération devant l’incurie de leurs dirigeants…

Reviennent aussi à ma mémoire nos échanges téléphoniques nombreux et le dernier de vive voix au Salon du livre de Paris en 2012 au cours d’un débat organisé par la délégation guinéenne sur le thème de la lecture à l’école. Les points de vue de tous les participants avaient été enrichissants mais nous n’étions pas moins peinés de penser que de ce qui s’en était dégagé, il ne serait tenu aucun compte par le pouvoir guinéen à Conakry !

Je réentends sa réaction après à la vue de mon roman au Stand de Riveneuve "À Dongora coulera à nouveau la rivière".

 

— Il est prémonitoire, ton livre. Des pluies diluviennes se sont abattues sur Labé comme cela n’était pas arrivé depuis longtemps !…

 

Mais, enfin, qui saurait mieux dire que Docteur Bah lui-même que la flamme allumée par lui ne s’éteindra jamais ?

 

"J'ai assisté, révolté, impuissant et attristé, à l'enlisement de la Guinée, dans une impasse profonde dans tous les domaines : moral, politique, économique, socioculturel. Au soir de ma vie, je consacre les forces qui me restent à témoigner du parcours de notre pays. J'ai dénoncé les crimes politiques que les différents présidents ont ordonnés pour se maintenir à la tête de la Guinée. Je dédie ce volume à la jeunesse guinéenne, je lui fais confiance pour relever les défis de l'incapacité des dirigeants successifs pour construire un État démocratique, capable de protéger et de nourrir ses habitants. Vive la Guinée !"

 

C’est le texte de la quatrième de couverture de "La Guinée a eu 55 ans et maintenant ?" Éditions L’Harmattan 2016, un des livres dont il est l’auteur.

 

Ses autres titres : "Mon combat pour la Guinée" – Édition Khartala 1996, "Trente ans de violence politique en Guinée 1954 – 1984" – Éditions L’Harmattan 2009, "La République des Voleurs" – Éditions L’Harmattan 2013, "Le Rassemblement de la Société Civile guinéenne. Une union impossible?" – Éditions L’Harmattan 2016.

 

Ainsi, Docteur Bah aura bien consacré sa vie et son action à la tentative d’élucidation et d’élimination du virus frappant si douloureusement la Guinée. Ce beau pays si cher à nos cœurs mais dont les dirigeants successifs semblent victimes d’un syndrome que j’ai pensé être typiquement guinéen.

"Être frappé du syndrome politique guinéen ? C’est, pour des dirigeants politiques, présider aux destinées de populations parmi les plus pacifiques, sourdes qu’elles sont aux sirènes ethniques, capables d’abnégation et confiantes en l’avenir, dans un pays disposant de potentialités immenses, "un scandale géologique" comme il est coutume de le désigner tant il recèle de minerais essentiels, abritant de surcroît le Château d’eau de l’Afrique, et se complaire d’en faire l’un des pays les moins avancés de la planète !…"

 

Alors, tant que le mal guinéen n’aura pas été guéri, la flamme que tu as allumée ne s’éteindra pas, Docteur Bah !

 

Cheick Oumar KANTÉ
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