Murmures

Le décès de l’écrivaine Nadine Bari
janvier 2024 | Décès de personnalités culturelles | Littérature / édition | Guinée

Français

Nadine BARI, Mère et Grand-Mère Courage


Elle n'est pas née Guinéenne, elle l'est devenue. L'étant restée contre vents contraires et marées tragiquement houleuses, elle s'en est allée aussi guinéenne que la plus guinéenne des "laguinéeguinée"(= femme de guinée en langue soussou de la Basse Côte). Les vœux de Nadine BARI, décédée à La Réunion le 10 décembre 2023,  ayant été que ses cendres rejoignent celles de son mari à Conakry !

De son double prénom de jeune fille – courant en France – Nadine Paulette, délesté comme de coutume aussi du patronyme de son père, Boissiéras, l'usage n'aura gardé que Nadine qui s'est si bien accordé depuis 1961 avec son nom par alliance : Barry. Nadine BARRY !

Après s'être connus en France (en faculté de droit à Paris Sorbonne), ils se sont installés en Guinée en 1964 afin de se mettre au service de la Guinée pour l'indépendance de laquelle ils ont milité dans le cadre de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France. Nadine, employée par l'ONU (Organisation des nations unies). Djibril, haut fonctionnaire. Leur bonheur n'aura été que de courte durée car, à partir du 22 novembre 1970, date du débarquement à Conakry d'opposants guinéens appuyés par une logistique portugaise pour renverser Sékou Touré, il n'a plus fait bon avoir une quelconque notoriété ni constituer un couple mixte. Doublement coupables, donc, ils ont été considérés de facto par le Tribunal Populaire Révolutionnaire ! Alors, Nadine et ses quatre enfants sont partis pour la France en 1971 non sans avoir rencontré beaucoup de difficultés. Ayant eu le projet de les rejoindre, Djibril ne l'aura jamais pu…

Nadine BARI, comme elle a toujours écrit son nom d'auteure est synonyme désormais de capacité de résistance, de combativité, de courage, du fait de ses éprouvantes recherches pour savoir où, quand et comment son mari Abdoulaye  Djibril  Barry était mort puisqu'il a fallu se résoudre à accepter qu'il était bien mort. Ayant été l'un des innombrables disparus des suites de tortures (en septembre 1972 en ce qui le concerne) au cours des années noires de la présidence de Sékou Touré, qui a fait de la Guinée une dictature avec camps d'enfermement des Guinéens de toutes conditions, persécution des étrangers, pendaisons publiques, etc. Près de vingt ans d'investigations l'ont menée à une "tombe", à l'entrée du village de Tokounou, une Sous-préfecture de la Préfecture Kankan en Haute Guinée…

Je l'ai rencontrée la première fois dans les jardins de l'Imprimerie Nationale Patrice Lumumba à Conakry en 1986. Elle y attendait d'être reçue par les journalistes de Horoya, quotidien qui ne paraissait plus que de façon très irrégulière du fait de pénuries de toutes sortes. J'avais quitté le temps d'une longue coupure de courant les ateliers de l'Imprimerie où au forceps je tentais de faire naître ma Nouvelle École, magazine d'information sur l'école en Guinée, en Afrique et dans le Monde qui, prévue pour être mensuelle, sera revue pour n'être que trimestrielle autant que possible.

Je réentends ses propos, révoltée qu'elle était par l'état dans lequel elle a retrouvé la Guinée laissée par Sékou Touré, mort le 26 mars 1984 d'une rupture de l'aorte même après avoir été évacué de toute urgence à Cleveland aux Etats-Unis :

"Je ne comprends pas que les Guinéens se soient habitués à vivre dans la crasse. Qu'ils n'aient plus rien construit, passe encore ! Mais qu'avec de l'eau et du savon, ils aient été incapables d'entretenir ce qui existait ! "

Je détiens, en plus de ses livres, une lettre manuscrite dans laquelle elle me conseillait d'entrer en contact avec certaines de ses relations pour résoudre à un moment donné mes quelques problèmes d'édition. Je continuerai de lire dans l'ampleur de son écriture cette autre disposition d'esprit qui enveloppe tout l'héritage légué par elle: Solidarité !

Guinée Solidarité qui a essaimé en Guinée et ailleurs dans le monde, c'est le nom de l'Association  qu'elle a fondée en 1987 " aux objectifs et principes visant à apporter une aide matérielle et ponctuelle strictement humanitaire aux groupes et organismes qui, en Guinée, se consacrent  à la prise en charge éducative, médicale ou sociale de leurs compatriotes. Activités s'appuyant sur la devise : "Aidez ceux qui s'aident". " Elle a recueilli des containers  et des containers de matériel scolaire ou de santé tel du matériel spécialisé pour les malvoyants et non-voyants, parrainé des enfants orphelins, aidé des associations et coopératives artisanales villageoises de couture, de maraîchage… dans les quatre régions naturelles de la Guinée.

Cette Guinée Solidarité-là survivra à la Mère et Grand-mère Courage, Nadine BARI, la seule Guinéenne qui aura osé, par ailleurs, instruire le procès de la pseudo-Révolution de Sékou Touré dans une fiction :

 

"Voilà 30 ans que, dans un hôpital "impérialiste" américain, mourait tranquillement Ahmed Sékou Touré, premier président et premier dictateur de Guinée. Malgré ses nombreux détracteurs, personne n'a jamais demandé qu'il soit jugé, ni de son vivant, ni depuis son décès il y a 30 ans. Dans ce livre que vous tenez en mains l'auteur a eu l'impertinence de faire se dérouler un avant- procès de ce monsieur dans l'au-delà, devant le "tribunal pénal interstellaire", pour tenter un début de bilan et lancer le débat sur cette épineuse question qui gangrène les relations humaines en Guinée."



C'est le texte de la quatrième de couverture de son neuvième livre sur une douzaine : "L'Accusé. Sékou Touré devant le TPI",  L'Harmattan 2014.



Cheick Oumar KANTÉ

 

 



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