Auguste Lacaussade

Rendez-vous au bicentenaire

Entretien de Soeuf Elbadawi avec Prosper Eve
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Samedi 8 février 2014 à la Réunion s’est tenue une journée d’études en hommage à feu Auguste Lacaussade, poète-pays mort en 1897, dont les restes, ramenés de Montparnasse en 2006, dorment désormais au cimetière de la cité d’Hell-Bourg, dans la commune de Salazie. Entretien avec Prosper Ève, historien et professeur à l’Université de la Réunion, qui, à l’occasion de ce raout poétique dans les hauts de l’île, a convié quelques auteurs indianocéans, de Rodrigues et des Comores notamment, à un festin de mots.

Qui est Lacaussade au regard de l’histoire réunionnaise ?
Auguste Lacaussade présente la particularité d’être le fils d’une esclave affranchie. Il est représentatif de La Réunion, puisqu’il est métis. Son père vient de Bordeaux. Au moment de son inscription au collège royal de Saint-Denis, le jeune Auguste Lacaussade, né le 8 février 1815, et sa mère ont été refoulés par le proviseur de l’établissement, M. Rabany. C’est dans une pension-collège à Nantes, à partir de 1830, qu’il effectuera sa scolarité. Après ce temps d’études, qui lui ouvre les portes de l’université, il n’aura qu’une idée en tête : dénoncer le racisme et laver l’affront subi par sa mère. Il est de ce fait le premier Réunionnais à en parler comme d’un mal dans cette société. Il choisit comme arme la poésie.
En le rappelant à Bourbon en 1834, sa mère veut qu’il devienne notaire. Pendant quelques mois, il se plie à ses volontés et devient clerc. Mais comme il tient à la mission qu’il s’est fixée, il finit par la convaincre de la nécessité d’un départ pour Paris, lieu où sa prise de parole peut avoir une réelle audience auprès des grands esprits, des généreux, susceptibles de s’investir pour changer les choses dans les colonies à esclaves. Son rêve devient réalité en 1836. En choisissant en 1839 comme titre de son premier recueil de poésies Les Salaziennes, il se pose en chantre de la créolité. Tous ceux qui profitent du système esclavagiste ne peuvent être heureux, en prenant connaissance des poèmes dans lesquels il condamne avec vigueur l’esclavage et le racisme.
Il a la possibilité de jauger l’ampleur de leur mécontentement, quand marié, mais marqué par la vie après la perte d’un nouveau-né, il revient dans son île en 1842, avec le désir de s’y fixer, auréolé de gloire après la publication de sa traduction d’Ossian de Mac Pherson. Il se retrouve dans l’obligation de repartir. Car il ne peut assurer la survie de sa famille, faute d’obtenir un emploi. En 1844, il quitte une dernière fois son île. Quand il meurt le 31 juillet 1897 et qu’il est inhumé au cimetière Montparnasse, ce n’est pas seulement un poète réunionnais qui s’éteint, mais un amoureux des langues.

Vous en parlez aussi comme d’une voix du monde noir dans un de vos ouvrages…
J’aurai pu le faire, car par sa mère il appartient bien à ce monde. Mais un historien s’appuie sur des sources pour arriver à une conclusion. En l’occurrence, c’est un Américain Mercer Cook, qui, dans un ouvrage publié en 1943, intitulé Five French Negro Authors, fait figurer Auguste Lacaussade parmi ces auteurs. Pour cet Américain, l’île de La Réunion appartenant à l’océan Indien, et étant proche de l’Afrique, fait partie d’office du monde noir.

Pourquoi l’histoire officielle en France et à la Réunion n’en parle que très peu ?
Un descendant d’esclave qui vient d’une colonie ne peut par définition avoir bonne presse en France. De plus, des Réunionnais présents en France en même temps que lui se sont chargés de faire connaître sa généalogie parmi les intellectuels. Son biographe Raphaël Barquisseau l’a rangé parmi les romantiques du second rayon. La messe était dite. La norme étant le Parnasse, comme il l’a rayé de ce courant, sa situation s’admet aisément.

Vous êtes l’un des principaux animateurs de l’association Les Amis de Lacaussade, dont vous êtes un spécialiste reconnu(1). Une association qui ne manque d’honorer les poétiques de cette région indianocéane…
Au retour des restes du poète, la naissance d’une association a été nécessaire. Si après le retour de ses restes à la Réunion, il devait rester un inconnu pour les Réunionnais, cela aurait été totalement inutile. Si on fête le 20 décembre et si le retour des restes d’un fils d’esclave n’est pas un événement en soi alors il n’y a plus rien à espérer, car on étouffe dans l’hypocrisie. L’association œuvre à l’étude de sa vie et de ses œuvres, mais elle œuvre aussi à la connaissance de la poésie. Son objectif est de faire aimer la poésie et de faire naître des vocations parmi les jeunes générations.

Il est question de célébrer le bicentenaire de sa naissance l’année prochaine…
C’est le moins que ses amis puissent faire après le retour de ses restes sur la terre natale. Ce qui n’a pas manqué de soulever un tollé de protestations de la part d’un certain nombre de « petits esprits diminuants », pour reprendre la formule de Victor Hugo. Le retour de ses restes a permis de briser le mur du silence entretenu autour de sa mémoire. Des études ayant été réalisées sur sa vie et son œuvre dans l’exil pour ne pas déranger les bonnes consciences localement, le bicentenaire de sa naissance sera le moment de leur restitution. Il aurait été d’ailleurs inutile de faire revenir ses restes ici, pour continuer ensuite à répéter les idées les plus éculées sur sa personne.

1- Trois ouvrages de Prosper Ève à lire :
Auguste Lacaussade, une voix du monde noir, Océan Éditions, Saint-André, 2006
Un Franc-créole en France, le destin d’un fils d’esclave , Océan Éditions, Saint-André, 2006
Auguste Lacaussade (1815-1897), le fils d’une affranchie et d’un noble de Guyenne, Océan Indien éditions, 2005.
2- Rapport 20 décembre 1848, date d’abolition de l’esclavage à l’île de La Réunion. Une date fêtée chaque année.
///Article N° : 12076

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