Fiche Disque
Musique
COMPILATION 2005
Lubumbashi 2005, Musiques du katanga
Genre : Compilation
Date de sortie : 26 Septembre 2005

Français

L’histoire de la ville se trame en effet avec la destinée de la République: sa grandeur, sa décadence… et ses actualités incertaines.
Dès 1910 (fondation d’Elisabethville), le Katanga où l’on exploitait déjà le cuivre avant l’arrivée des colons- devient le poumon économique du vaste territoire congolais. Les mines et le rail en seront les mamelles nourricières. Ces deux secteurs d’activité façonnent non seulement la ville, son architecture, ses routes, son tissu économique, mais aussi sa culture. Lieux de sociabilité, logements, cantines, hôpitaux: c’est toute la vie des ouvriers et de leurs familles qui porte la signature d’une des deux grandes compagnies qui régentent la ville.

Bercée par ces imposants et omniprésents tuteurs, la ville accouche d’une culture singulière, inédite au Congo-Zaïre comme sur le reste du continent. C’est dans leur jupons que naissent les premiers orchestres modernes (pI.22), dans leurs cités ouvrières que se développe le premier mouvement musical typiquement lushois – celui des Jecoke (jeunes comiques de la Kenya, pl.1).
Cette urbanisation rapide s’accompagne d’une implantation massive des missionnaires et des prêtres catholiques. Eglises, collèges, lycées et séminaires poussent au même rythme que les nouveaux quartiers.

Les chorales servent ici aussi de pépinières aux chanteurs, dont certains disposent d’une formation classique où prédominent le solfège et le latin (pI.18,19,21).
La culture et l’enseignement diffusés par les religieux (notamment les Salésiens) contribuent donc eux aussi à forger une mentalité spécifique, tout comme la proximité de la Zambie et de la Tanzanie dont les capitales paraissent des cousines plus proches que la lointaine Léopoldville (Kinshasa).
Cet ensemble de particularismes culturels donne aux Lushois un sentiment de fierté qui persiste encore aujourd’hui. Les ouvriers de Lubumbashi touchaient un salaire, mangeaient bien, s’habillaient mieux que les autres, recevaient une meilleure éducation etc., bref, « Lubumbashi Wantanshi « .

Pour les artistes de Lubumbashi, les seules opportunités pour se produire sont offertes par la Gécamines qui fait tourner musiciens, troupes de théâtre et de danse, fanfares, chorales et majorettes dans les autres villes minières. Reste que, si la radio, la scène et les ses mécènes sont à Kinshasa, l’unique moyen de faire carrière est de s’y établir. C’est d’ailleurs ce que feront certains des plus brillants instrumentistes ou chanteurs lushois, qui intégrèrent des orchestres, mais des orchestres de rumba congolaise: Kinshasa aspire alors tous les musiciens du Congo, et en fait des kinois ! Pendant ce temps, la crise s’installe et apparaissent de nouveaux courants musicaux, comme la musique Kalindula, arrivée dans les bagages des mangeurs de cuivre zambiens.

Dans les interstices laissés par la censure, cette musique pratiquée par les laissés pour compte d’un système qui ne fera plus que les multiplier, raconte et commente la vie quotidienne des quartiers de la ville (pl.? à10). Puis, tandis que la ville comme le pays s’enfoncent dans la crise, ils sont relayés par les rappeurs qui se multiplient et chantent le désarroi d’une jeunesse qui n’a héritée du Zaïre d’autrefois que les fruits amers de la banqueroute et de la guerre (pl. 11,12,14). Leur langage est dur, froid et précis, car ils sont en général passés par les bancs de l’Université. Une université qui a déjà payé un lourd tribut à la contestation, puisqu’elle fut le théâtre d’une sanglante répression en 1990. Parfaitement francophone, cette génération n’en a pas moins les yeux qui louchent vers Johannesburg (qui est aussi éloignée de Lubumbashi que ne l’est Kinshasa).

En 2005, Lubumbashi est toujours une ville capitale pour la ROC, mais elle demeure un pôle culturel de seconde zone. Elle regorge pourtant de talents aussi inconnus qu’ils sont différents de ceux que Kinshasa véhicule. Et si, à Kin la Belle, vivre de sa musique est une mission impossible, ce n’est à Lubumbashi qu’une utopie que les artistes, lucides, regardent d’un œil distant. Car outre son enclavement, la ville d’excellence ne compte aucun studio d’enregistrement professionnel. On y mixe dans des home-studios de fortune qui ne fonctionnent que par l’immense débrouillardise et la grande ingéniosité de ceux qui les tiennent. Quant à la commercialisation…c’est là encore un mot qui sonne creux, et que le réalisme voudrait rayer du dictionnaire pour le remplacer par celui de « piraterie ».

Le titre de « producteur » n’a lui-même plus de sens, puisqu’on désigne par ce terme de menus affairistes qui font la navette avec la Tanzanie. Ils vont y revendre les chansons lushoises à des duplicateurs qui inondent l’Afrique de l’Est et des Grands Lacs de leurs compilations sauvages. Bref, le tableau est plutôt sombre. Mais au fond, qu’y a-t-il de rose en RDC aujourd’hui, si ce n’est, pour les artistes, l’envie et l’espoir
persistant de s’en sortir en créant.
Lubumbashi Wantanshi : finalement cette devise en forme de slogan reste d’actualité. Lubumbashi demeure une ville d’excellence, à en juger par la résistance et l’opiniâtreté de ses poètes.

La sélection qui est ici proposée est un instantané – certes partie/- des musiques qui font aujourd’hui la ville, héritières de l’histoire que nous avons
survolée pius haut. Toutes ces chansons portent, d’une façon ou d’une autre, ia marque spécifique, la couleur, les langues et le son de Lubumbashi .. en un mot son identité. Elles ont été enregistrées sur place, avant ou à l’occasion de cette compilation. Réalisée grâce au soutien de l’Ambassade de France en République Démocratique du Congo, à Forrest International, à la Sacem, à l’espace culturel Francophone de Lubumbashi, halle de l’étoile.

« En septembre 2004, je reçois un coup de téléphone de Lubumbashi, dans l’est de la RDC.
Le monsieur au bout du fil s’appelle Hubert Maheux responsable de la halle de l’étoile. Il avait eu entre les mains la compilation « transition cha-cha » que j’avais faite à Kin quelques mois plus tôt.
« ça vous intéresserait de venir faire la même chose à Lubumbashi ? »
Et comment ! Quelques mois plus tard, me voici dans un avion pour la capitale du Katanga.
A l’approche de la ville, on voit nettement se dessiner une grande dune grise, gardée par de grandes cheminées : c’est le terril. J’étais loin de m’imaginer qu’il personnifierait à ce point la destinée de la cité.
Sur place, il s’agissait donc de faire un modeste portrait de la ville à travers ses musiques.
J’ai vite compris qu’il n’aurait rien à voir avec celui de Kin : pas de rumba qui coule partout dans les rues, pas les mêmes tirades échevelées de pasteurs de compétition…pas la même folie (qui est pour moi la « griffe » de la capitale).
Rien de tout ça…alors quoi ? des balades douces-amères de vieux papa qui auraient sympathisé avec Brassens tout en lisant des romans d’amour, des jeunes rappeurs fâchés aux mots froids et tendus, aussi précis que des chirurgiens qui opéreraient un malade au beau milieu d’une fête….des rastas aux visions aussi réelles qu’elles sont utopiques, des joueurs de banjo qui s’invitent dans les deuils pour le plaisir de boire, de narguer la famille et…de se faire chasser…et puis des fous d’opéra et de musique classique – essayant de couvrir, de leur voix la plus pure, le vacarme de l’usine de bière attenante.
Bref, des tas de trésors moins rutilants, moins tapageurs que ceux de Kin.
Plus difficiles d’accès aussi. Pas de studio d’enregistrement digne de ce nom,
Pas de cachet, pas de reconnaissance, pas de quoi quoi quoi…la vie de musicien, c’est celle du kamikaze (du nom d’un des rappeurs les plus doués de L’shi).
Grâce à mes deux compères Guilhain El Magambo et Jerry Lufinika (journalistes, vidéastes, chercheurs de pépites culturelles) , nous avons écumé les couloirs d’une ville qui bouillonne en silence, à l’ombre du terril endormi comme un vieux dinosaure. »

Vladimir Cagnolari, journaliste RFI, coordonnateur compile
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