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Les esprits des eaux au Katanga : mamba muntu, mami wata, tati wata, mukalay, milambwe…
Cette exposition a été réalisée par l’association Halle de l’Etoile

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Sous la direction de Hubert Maheux, attaché de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France à Lubumbashi et de Patrick Mudekereza, administrateur de l’association Halle de l’Etoile
-Avec la participation d’Henri Bundjoko, conservateur au musée national de Lubumbashi, de Claude Mwilambwe, professeur à l’Université et membre de l’association « Mémoires de Lubumbashi », de l’ASBL Dialogues, de l’Académie des Beaux-Arts, et de l’Université de Laval à Québec et de Christian Kazadi, devin sanga
– Avec le soutien du groupe Forrest et de la Brasimba
Nous tenons également à remercier Donatien Muya, directeur du musée national de Lubumbashi, et toutes les personnes qui ont bien voulu prêter des objets de leur collection et tous les artistes qui ont participé à cette exposition.
Le site a été conçu et réalisé par Trésor Makonga
Les photos sont de Sammy Baloji et le texte de Hubert Maheux et Patrick Mudekereza avec la participation d’Henri Bundjoko.
Les croyances dans les esprits des eaux sont universelles sur notre planète, on les retrouve même en Europe, où par exemple les fontaines sacrées de Bretagne, aujourd’hui sous la protection d’un saint catholique, étaient autrefois des lieux de vénération de dieux celtes.
En Afrique les divinités autochtones se sont parfois mêlées aux représentations occidentales apportées par les marins pour faire naître les images si populaires de mami wata. C’est en Afrique de l’ouest que seraient nées ces représentations pour se diffuser par la suite sur une bonne partie du continent.
Les représentations de la sirènes sont également très présentes en Amérique, du Brésil aux Antilles, sous le nom de mami wata, manman d’lo, d’agwé et de yemandja, là où les esclaves mêlèrent dans leur imaginaire, héritages africain et européen.
Ce sujet a déjà été abordé au Congo dès les années 60 par Johannes Fabian, alors qu’il résidait à Kolwezi, puis par Bogumil Jewsiewicki dans son ouvrage paru en 2003 « mami wata, la peinture urbaine au Congo », puis par Lucie Touya dans « MamiWata, la sirène et les peintres populaires ».
Le père Léon Verbeeck, appartenant à la congrégation salésienne de Lubumbashi, a réuni depuis trente ans une collection de tableaux populaires, parmi les thèmes les plus prisés se retrouve la représentation de la sirène.
Au Katanga, ces traditions encore bien vivantes ont donné lieu à une production artistique très importante. Plus qu’ailleurs, on a peint de sirènes, mamba muntu en swahili et mami wata en lingala, et l’on continue encore d’en peindre aujourd’hui.
Ces œuvres essentiellement urbaines ont succédé à des représentations des différents esprits des eaux qui préexistaient dans les sociétés traditionnelles de la province. Il semblait important de présenter cette importante production matérielle restée en partie méconnue du grand public.
1.Les esprits des eaux dans les sociétés traditionnelles du Katanga
Chez les sanga, il existe un esprit des eaux féminin mukalay et un esprit des eaux masculin mwilambwe wa kumema. Pour les habitants de Luambo, lieux de résidence du chef traditionnel Mpande, mukalay habite dans les carrières de Kalabi où elle veille sur le minerai de cuivre (malachite) et des pierres semi précieuses : saphir, rubis… Elle apporte la richesse à celui qui la rencontre.
Mwilambwe, l’esprit des eaux masculin habite Mulungwishi. Depuis la construction du barrage dans les années 1930, son personnage est associé à celle des prêtres bénédictins installés dans la région qui possèdent également pouvoir et savoir.
Ailleurs, il peut prendre d’autres formes, un tableau de la collection du père Léon Verbeeck représente un homme sirène sous les traits d’un religieux musulman, dans ce cas la bible devient coran. Cet esprit autochtone semble avoir été assimilé, à partir du milieu du XXe siècle, aux religions des étrangers, commerçants swahilis ou colonisateurs européens.
En territoire sanga, les devins, nganga, utilisent leur image sous forme de statuettes ou de bâtons pendant les cérémonies traditionnelles, mukalay sert alors d’intermédiaire entre les vivants et les morts, elle est la porte parole des ancêtres. Certains n’hésitent pas à l’appeler téléphone mystique. Elle est représentée sous forme d’une petite statue à tête de bois et corps de corne recouvert de peau.
Milambwe wa Kumema, esprit des eaux masculin, est souvent représenté sous forme humaine accompagnée d’un serpent, sur les bâtons employés par les ngangas durant les cérémonies, il est également utilisé comme esprit intercesseur.
Les tshokwe et les ovibundu utilisent également une statue de sirène comme objet d’intercession. Sur les confins zambiens, on lui donne le nom de dona fish, ce qui trahit son origine portugaise. Là encore, les mythe européens et africains s’entremêlent. Ces statues ne paraissent pas très anciennes, elles semblent avoir remplacées dans le second quart du XXe siècle des formes plus archaïques.
Les songye et les luba utilisent également des statues, symbolisant des esprits des eaux, à tête humaine ou tête d’animal au corps allongé, souvent constitué de peau, rappelant la forme du serpent.
2. La peinture sur case, premières représentations picturales des esprits des eaux
Les peintures sur cases furent probablement un des premiers moyens de figuration de ces esprits des eaux. Autrefois répandu dans l’ensemble de la province, l’art de peindre les cases avec des pigments naturels, constitués essentiellement d’argiles de couleur, a subsisté dans le sud de la province et plus particulièrement chez les lamba, où il est connu sous le nom de kushuripa. Ce sont uniquement les femmes qui maîtrisent cet art.
Bogumil Jewsiewicki dans son ouvrage sur la peinture populaire montre une photo de case peinte où figure une représentation de mami wata. Il s’agit dune photographie prise en 1976.
Les femmes de makwatacha venues en janvier 2008 peindre une fresque à la Halle de l’Etoile ont représenté une sirène mamba muntu et un esprit masculin à tête d’homme et corps de serpent accompagné de son antidote à la forme géométrique ressemblant étonnamment à un vévé du vaudou haïtien.
3- Mamba muntu et mamy wata en milieu urbain
A la fin des années 40, les peintres du Hangar très inspirés par les peintures sur case s’intéressaient déjà au sujet de la sirène comme le prouve les deux gouaches sur papier publiées dans l’ouvrage Les arts du Congo de Roger-Pierre Turine. Ces deux figures de sirène soufflant dans une trompe ressemblent étrangement aux sirènes représentées par les marins de l’île d’Yeu sur leurs girouettes où la femme à queue de poisson, surmontée d’un drapeau tricolore, est représentée soufflant dans une trompette. On peut se demander qui influence qui ? Il ne faut pas oublier que Pierre Romain-Desfossé, appartenant à une longue lignée d’officiers de marine bretons, créa en 1946 à Lubumbashi, le Hangar, une des premières écoles d’art pour africains sur le continent. Il n’est peut-être pas totalement étranger à la représentation de la sirène que font ses élèves.
C’est au début des années 60 que des peintres populaires de Likasi, Lubumbashi, et Kolwezi, comme les Nkulu, furent les premiers à produire, en grand nombre, des tableaux représentant des mamba muntu ou mami wata. Leurs premiers clients furent les ouvriers de la Gécamines et quelques amateurs blancs, et parmi eux l’anthropologue Johannes Fabian. Ces tableaux peints sur des toiles de récupération, le plus souvent des sacs de farine, étaient bon marché. Outre l’aspect purement décoratif, le fait de posséder un tableau de mami wata chez soi portait bonheur et pouvait vous apporter la richesse. C’est l’un des thèmes les plus répandus dans la peinture populaire katangaise.
Cette représentation de mamba muntu la plus commune au Katanga figure une femme aux traits européens ou moyen-orientaux. Il est très rare qu’elle soit représentée sous les traits d’une femme africaine. Elle apparaît au bord de l’eau, portant une montre et orné d’un collier et de boucles d’oreilles. Un serpent est enroulé autour de son corps. A l’arrière plan est figuré un bandeau végétal qui marque l’autre rive du fleuve ou du lac. Cette représentation est très répétitive, seules quelques variantes font la différence entre les tableaux. Il s’agit de portraits de sirènes et non de tableaux où la mami wata est mise en scène comme souvent dans la peinture populaire de Kinshasa.
Cette représentation dont le gros de la production s’étale entre 1960 et 1995 est image de la femme idéale séductrice que chacun aimerait croiser sur son chemin. Mamba muntu n’est pas seulement un tableau est aussi un personnage que l’on peut rencontrer en fréquentant les rives d’un lac ou d’un fleuve dans les environs immédiats de la ville. Les plus chanceux après sa disparition récupère un objet qu’elle utilisait, un miroir ou un savon. Cet objet ayant appartenu à la sirène sera conservé jalousement et portera bonheur à son propriétaire durant toute sa vie. Il est considéré comme une source de richesse. Les témoignages de ce genre sont nombreux.
Pour ceux qui n’avaient pas eu la chance de rencontrer la sirène sur leur route, le tableau pouvait être considéré comme un porte bonheur et attirer la chance.
4. Survivance à Lubumbashi de la figure de la mami wata au XXI e siècle, les calicots enseignes des devins guérisseurs
Depuis le milieu des années 1990, on note un désintérêt pour le sujet, et pour la peinture populaire en général, considérée comme démodée. Ce phénomène est accentué par l’arrivée sur le marché local des tableaux imprimés chinois représentant des paysages urbains ou des scènes champêtres aux couleurs vives, symbole de modernité. Par ailleurs, considérées comme un fétiche par les prédicateurs évangélistes, les dernières peintures conservées chez les particuliers sont vouées à la destruction.
La représentation de la sirène a failli disparaître à Lubumbashi, et pourtant elle ressurgit dans le paysage urbain. Depuis le début de ce siècle les devins guérisseur utilisent ce symbole sur leurs enseignes publicitaires, simples toiles peintes par les derniers artistes populaires de la ville. On retrouve ces calicots éphémères tendus entre deux branches le long des rues, mais très rapidement ils sont retirés par les agents de la voierie qui font la chasse à cette publicité d’un autre âge.





5 La figure de la sirène dans l’art d’aujourd’hui

La peinture kitch de Vincent de Paul Nkulu
Vincent de Paul Nkulu a suivi les cours de l’école des Beaux-Arts. Sa peinture est très influencée par l’académisme. Aujourd’hui ses tableaux de mami wata, aux couleurs vives et au réalisme presque dérangeant, son parmi les plus kitch.

L’art du devin
Christian Kazadi est un devin sanga installé à la périphérie de la ville de Lubumbashi, durant ses cérémonies il fait appel aux esprits des eaux Mukalay et Mwilambwe. A l’occasion de cette exposition, il a décidé de devenir artiste, et de représenter sur des tableaux les esprits des eaux masculins et féminins du peuple sanga. Il utilise poupées, kaolin, tissu rouge, fleurs artificielles, et réalise des œuvres à mi chemin entre art et divination, à l’image de certains artistes haïtiens inspirés par le vaudou. Christian Kazadi devient le premier artiste devin au Katanga.

Gulda El Magambo et le devin
Ce photographe lushois travaille depuis bientôt 4 ans sur la divination chez les sanga, en milieu rural et en milieu urbain. Là, il saisit son sujet favori, le devin Christian durant une cérémonie consacrée aux esprit des eaux, Mukalaî et Mwilambwe Wa Kumema. Cérémonies, qui tiennent beaucoup de la performance artistique.

Mamba muntu et mami wata vu par Sammy Baloji
Dans ce travail qu’il vient de débuter et qu’il souhaite intégrer dans un projet plus vaste intitulé « aller retour », Sammy Baloji réinterprète l’image de la sirène. Sous son objectif, avec des éléments intelligemment recomposés elle devient homme, femme et même animal. Ses sirènes son des invitations aux voyage dans son imaginaire.

L’Académie des beaux arts :
de la sirène académique à la création contemporaine

Autour de l’expo :
-Conférences : Musée, académie des beaux arts,
« Chant de Sirène, pouvoir de la musique, illustrations dans la société traditionnelle du Katanga » par Benjamin Kazaku
-Contes avec des élèves d’écoles primaire, par Alice Rachidi






Bibliographie :
-Bogumil Jewsiewicki, « peintures de cases, imagiers et savants populaires du Congo 1900 1960, un essaie sur l’esthétique indigène », cahiers d’études africaines, n 123, 1991, p 307 à 326.
-Bogumil Jewsiewicki, « mami wata, la peinture urbaine au Congo », Paris, Gallimard, coll. « Le temps des images », 2003, 240p
-Lucie Touya, « mami wata la sirène et les peintres populaires de Kinshasa », L’Harmattan, 2003, 222p
-Yohanes Fabian et T. Szombati-Fabian, « Art, history and society. Popular painting in Shaba, stuidies in the anthropology of visual communication, 1976
– Johannes Fabian, remembering the present, painting on popular story in Zaïre, California, 1996

Mulumbwa et Verbeek, Bulumbu, un movement extatique su Sud-Ext du Zaïre à travers la chanson tradidionnelle, Musée royale d’Afrique Centrale, 1987
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